« Les Européens doivent revendiquer un rôle politique »

Analysant le contexte de la réunion d’Annapolis, Leila Shahid souhaite que les Européens ne restent pas à l’écart d’un nouveau processus qui n’est pas sans risques pour les Palestiniens.

Denis Sieffert  • 6 décembre 2007 abonné·es

Comment expliquer cet intérêt soudain de George Bush pour le conflit israélo-palestinien ?

Leila Shahid : Le président Bush veut laisser autre chose en héritage que la débâcle de la politique américaine en Irak et en Afghanistan. Les Palestiniens sont totalement lucides sur ses motivations. Mahmoud Abbas n’est pas dupe. Il sait qu’il s’agit davantage de sauver l’image de la diplomatie américaine, de mobiliser les alliés des États-Unis, et de « vendre » la menace iranienne, que du souci sincère de trouver une solution au conflit israélo-palestinien. Mais les Palestiniens n’ont pas les moyens de bouder le moindre frémissement de reprise de négociation. Surtout après sept années de gel mais aussi de destruction des institutions que la négociation avait commencé tant bien que mal à mettre en place sur le territoire de la Palestine.

Illustration -   « Les Européens doivent revendiquer un rôle politique »


« L’État palestinien est aux Palestiniens partout », clame cette banderole lors d’une manifestation à Hebron.
BADER/AFP

Ces destructions ont été entreprises par Ehud Barak après Camp David (en juillet 2000) ­ la première a été la destruction de la notion même de partenaire palestinien ­, et poursuivies par Ariel Sharon et par Ehud Olmert. Destructions qui ont aussi ouvert la voie à la politique unilatérale d’Ariel Sharon. Les Palestiniens ont appris à leurs dépens que rien ne peut se faire sans la puissance américaine. Ils n’ont d’autres choix que d’essayer d’impliquer les États-Unis. Ils savent qu’il faut inclure toute la communauté internationale et en premier lieu les Américains. Tout autre choix nous ramènerait à une stratégie militaire qui, aujourd’hui pour le moins, n’est pas possible. Comment faire, dans cette situation, pour obtenir un minimum de garanties que le droit sera respecté, alors que les Palestiniens sont tributaires d’un agenda qu’ils ne contrôlent pas ?

Comment jugez-vous la réunion d’Annapolis elle-même ?

En fait, les choses sérieuses, donc dangereuses, commencent avec l’après-Annapolis. Nous savions tous qu’Annapolis ne serait qu’un lancement. Il n’y a donc pas à en être déçu. Mais tout commence maintenant. Ce qui est inquiétant c’est qu’il y avait le monde entier à Annapolis, et que George Bush a parlé d’un comité de suivi n’incluant que Palestiniens, Israéliens et Américains. Ni l’Union européenne, ni les pays arabes invités à Annapolis, ni les institutions internationales ne sont inclus, ni, surtout, le Quartette, qui était chargé de veiller à l’application de la feuille de route, qui a été le seul cadre de référence de George Bush dans son discours. Ce serait une garantie pour les Palestiniens que les Européens soient présents. N’a-t-on pas confié à Tony Blair, représentant du Quartette, le soin de la mise en place d’institutions préparant la création d’un État palestinien et à la France celui de préparer la conférence de financement prévue pour la mi-décembre ? Mais les Européens ne doivent pas seulement être sollicités comme bâilleurs de fonds. Ils ont un rôle politique à jouer. S’ils ont le courage de le revendiquer.

Les Européens et les Américains ont une perception différente du conflit israélo-palestinien et ils ont des conceptions différentes de la façon de résoudre ce type de conflits. Est-ce qu’il y a des résolutions des Nations unies, des normes juridiques à respecter, ou est-ce seulement la traduction d’un rapport de forces sur le terrain militaire ?

La présence des Européens dans un comité de suivi a-t-elle fait l’objet d’un débat, ou leur absence est-elle évidente pour les Américains ?

J’ignore aujourd’hui si les Européens eux-mêmes ont été surpris de ne pas être cités dans un comité de suivi, ou si cela résulte d’un discours impromptu du président Bush, et peut encore donner lieu à des discussions à mesure que seront fixés un calendrier et les questions de fond. Car, dans ce que le président Bush a appelé la « déclaration commune », il n’y a aucun des problèmes de fond du conflit. Ce n’est qu’une déclaration d’intention. Elle ne peut servir de document conjoint de travail. Tout le monde méditerranéen, en tout cas, souhaite voir l’Union européenne jouer son rôle sur un plan politique, économique et commercial, et sur le plan sécuritaire. C’est maintenant à l’Europe de s’exprimer.

Ne craignez-vous pas qu’Annapolis fasse peser une sorte d’interdit sur un éventuel retour au dialogue entre l’Autorité palestinienne et le Hamas ?

La grande stratégie des États-Unis, c’est d’isoler l’Iran. Et, comme par hasard, on retrouve la même alliance israélo-américaine qu’au moment de la guerre préventive d’Irak. Cette alliance utilise les déclarations irresponsables, négationnistes et antisémites du président Ahmadinejad. Mais la montée en puissance de l’Iran s’appuie d’abord sur les échecs de la politique américaine en Irak. Elle inquiète beaucoup les pays du Golfe. Non pas pour des raisons religieuses, comme cela est dit un peu partout. Mille ans de coexistence entre chiites et sunnites ne vont pas cesser aujourd’hui. Mais pour des raisons géostratégiques. Ce qui inquiète, c’est la politique de l’Iran, son ambition régionale. Les pays du Golfe eux aussi ont pour ambition de protéger leurs intérêts, eux qui sont séparés par un golfe dont Perses et Arabes se disputent le qualificatif. Mais autant les pays arabes veulent se protéger contre cette ambition, autant ils n’ont pas envie de payer les conséquences d’une guerre américaine contre l’Iran. Ils ont déjà payé assez cher la guerre contre l’Irak. Ils ont dit aux États-Unis : si vous voulez que l’on vienne à Annapolis, il y a des conditions. Ce sont les conditions que posent nos opinions publiques. Et c’est d’abord la résolution du conflit israélo-palestinien. Mahmoud Abbas compte beaucoup sur cette pression des opinions publiques arabes sur les régimes arabes.

La marge pour les Palestiniens est donc étroite, mais il fallait l’utiliser. L’enjeu dépasse de loin le problème des relations entre le Fatah et le Hamas. L’unité nationale est une revendication de 99 % du peuple palestinien, mais elle doit se faire sur la base d’un accord politique. Et le moment idéal est aujourd’hui. Le plus dangereux serait ensuite que le succès formel d’Annapolis n’ait aucun effet sur la vie quotidienne des Palestiniens. Ou, pire encore, qu’Israël utilise ce succès pour continuer une politique de colonisation et de répression.

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