Les francs-tireurs

Le journal de « Groland », les « Guignols », le « Zapping » :
Trois niches où s’agite encore un sens critique de l’actualité.

Jean-Claude Renard  • 20 décembre 2007 abonné·es

Bienvenue au Groland, petite « présipauté » qui ressemblerait à un gros bourg picard, et dont l’actualité parvient à travers son JT. Le samedi 8 décembre, le journal présenté par Moustic s’ouvrait sur les élections russes : « En direct du pays d’Ivan Rebrov, notre correspondant, Michael Kael : Oui, ici, ce n’est pas tellement une surprise. Il a verrouillé l’opposition, tous les grands médias le soutiennent, les grands industriels également. Donc Vladimir Sarkozy est passé. » Non, reprend Jules-Édouard Moustic, « Poutine, Vladimir Poutine ». Tant pis pour la bourde. Une poignée d’infos plus tard, Moustic suggère « un petit conseil financier : Vendez vos RTT à votre patron pour partir en vacances ». Non sans souscrire une assurance. « Gro Assistance : un simple coup de fil et notre président vient vous chercher. Avec Gro Assistance, vous êtes rapatrié en avion présidentiel piloté par notre président lui-même. Vous avez une conférence de presse avec des questions gentilles posées par des journalistes amis de notre président. Attention, le contrat Gro Assistance est soumis à certaines conditions : vous devez être otage ou prisonnier d’un pays qui n’a pas encore l’arme nucléaire pour que notre présipauté puisse lui vendre ; vous devez être otage ou prisonnier d’un pays dont le chef d’État a commis des crimes contre l’humanité ou financé des attentats pour que notre présipauté puisse l’amnistier ; vous devez être otage ou prisonnier d’un pays qui permet à notre président de faire l’aller-retour dans la journée avec retour avant 20 heures afin de passer au JT en direct. Le contrat ne peut en aucun cas être appliqué dans un État démocratique, dans un État sans ressources naturelles ou à plus de six heures d’avion. » Groland, « la patrie des droits de l’homme… riche » , conclut Moustic.

Autre décor, autre JT, celui des «~Guignols~». Les brèves enquillent un chèque de cinq milliards de dollars en guise de lettre d’excuses algérienne, Hortefeux puisant aux soupes populaires pour traquer les sans-papiers, Sarko félicitant Poutine, ce pays où, si « y a du fric et des magasins, pour moi c’est une démocratie » , un reportage sur SOS délation, Kouchner théâtral n’assurant jamais son poste sur des dossiers sensibles comme la Chine, la Colombie ou la Libye. À suivre par un documentaire sur un journaliste américain (le même s’étant nourri au McDo pendant plusieurs semaines) regardant sans discontinuer les JT français pendant un mois avant d’en ressortir furieusement poujadiste, et « le plus grand chapiteau du monde », présenté par Patrick Sébastien recevant Khadafi en hôte de prestige, Rama Yade « avalant neuf couleuvres », Kouchner « dans un numéro de l’homme invisible » et, clou du spectacle, « un tout petit homme capable de transformer la déclaration des Droits de l’homme en avions Rafale » . Hilarant, forcément. Implacable et confondant aussi.

Dans ce pataquès d’informations (à peine) caricaturées, dans le flot des images, le «~Zapping~» de Canal + remet de l’ordre. Les chiffres du jour par Samuel Étienne : « 163 heures de JT pour Nicolas Sarkozy au troisième trimestre 2007. Il est la personnalité la plus présente en volume horaire dans les journaux télévisés des six grandes chaînes hertziennes. Et, avec 43 heures, la palme revient à… TF 1 » . Suivent les sifflets à Constantine ; les pots de vin en Algérie, à hauteur de 20 %, préalables à tout contrat ; un colis piégé qui passe, selon les chaînes, dans l’ancien cabinet d’avocats de Sarko, où le président a toujours des parts ; 400 euros de prime pour les forces de l’ordre intervenues à Villiers-le-Bel ; Arlette Chabot préférant évoquer la rupture Royal-Hollande, face à l’ex-candidate, plutôt que le pouvoir d’achat et la précarité ; et enfin, Véronique Sainte-Olive, du service politique de France 2, décorée chevalier de la Légion d’honneur. C’est bref, clair. Toute la valeur du zapping.

Certes, des «~Guignols~» à «~Groland~», toujours sur Canal +, les programmes sont faits pour rire. Rire jaune ou noir (en termes de couleur, un rire étranger alors). En réalité, sur un terrain médiatique aux cordes vocales éteintes, tout se passe comme si la seule bonne lecture de l’actualité politique, économique et sociale ne pouvait avoir lieu qu’à travers le décalage, le divertissement. Pour n’être pas hors-jeu, mais hors champ. Tout se passe comme si le seul décryptage des médias, depuis la suppression d’«~Arrêt sur images~»
[^2], échappant, sinon à la censure, à l’autocensure, ne pouvait avoir lieu que par des voies détournées. Pour combien de temps encore ?

[^2]: Voir le site cependant : .

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