L’opposition peine à se faire entendre

Alors que les Vingt-Sept signent ce jeudi le traité de Lisbonne, les initiatives en faveur d’un référendum, comme les réunions publiques des opposants à ce nouveau texte, sont ignorées des principaux médias.

Michel Soudais  • 13 décembre 2007 abonné·es

Les anciens tenants du « non » au traité constitutionnel européen ne veulent pas se raconter d’histoire. La mobilisation contre le traité modificatif européen, que les vingt-sept chefs d’État et de gouvernement doivent signer, ce jeudi, au monastère Dos Jeronimos de Lisbonne, a du mal à prendre. La faute aux médias qui se contentent d’une information minimale sur le contenu du traité, reprennent sans réserve les lieux communs des communicants de l’Élysée pour en minimiser la portée, et ignorent superbement l’existence d’une contestation. L’appel du Comité national pour un référendum (CNR) n’a ainsi donné lieu qu’à quelques brèves dans la presse écrite, le présentant systématiquement comme une initiative d’anciens « nonistes », sans mentionner que cette « exigence démocratique » était aussi soutenue par d’anciens partisans de la « constitution » européenne prêts à voter le traité de Lisbonne, comme le Vert Noël Mamère. Signé aujourd’hui par 40 000 personnes sur Internet, dont 67 parlementaires et de nombreuses personnalités syndicales, associatives, du monde de la science et des médias, cet appel n’avait toujours pas droit de cité, mardi, à la veille d’une conférence de presse que des élus signataires devaient tenir mercredi, à l’Assemblée nationale, pour tenter de briser le mur du silence qui l’entoure. Les réunions publiques sur le traité font, quant à elles, l’objet d’un black-out impressionnant.

Illustration - L’opposition peine à se faire entendre

Aurélie Trouvé a plaidé l’importance de remettre l’Europe au cœur du débat citoyen, au meeting du 6 décembre.
MICHEL SOUDAIS

La faute aussi à un faible engagement des forces politiques du camp du « non ». Tout autant accaparées que les socialistes par la préparation des municipales, elles ne se sont pas encore remises non plus de l’échec d’une candidature antilibérale, l’an dernier, ce qui ne favorise pas la tenue d’initiatives unitaires. L’appel lancé le 16 octobre par vingt et une formations politiques, des associations et des syndicats, pour alerter et mobiliser les citoyens sur le nouveau traité, et exiger un référendum ( Politis n° 972) est l’arbre qui cache la forêt de la désunion. Les réunions unitaires promises lors de la conférence de presse de lancement se comptent, pour l’heure, sur les doigts d’une main.

L’esprit de chapelle prévaut. Certains n’en font pas mystère pour expliquer leurs réserves vis-à-vis de l’appel du CNR ­ « Pourquoi cet appel alors que mon parti a déjà sa pétition ? », lit-on dans des courriers reçus à Politis . Autre exemple : le PCF organisait, le 27 ~novembre, un meeting parisien au gymnase Japy en présence de 500 à 600 personnes. « Ensemble pour un référendum » , proclamait la banderole de la tribune. Mais, ce soir-là, le « ensemble » se limitait à quelques partenaires choisis, invités moins de cinq jours auparavant. Outre Marie-George Buffet, Cédric Clérin, président de la JC, et Francis Wurtz, le « monsieur Europe » du PCF, président du groupe GUE au Parlement européen, il n’y avait à la tribune que les socialistes Jean-Luc Mélenchon et Marie-Noëlle Lienemann, Christian Picquet, de la LCR, Éric Coquerel, du Mars, et le chevènementiste Georges Sarre, en sa qualité de maire de l’arrondissement. Aucun de ceux qui s’étaient engagés en faveur de José Bové ou d’Olivier Besancenot n’avait été convié.</>

Dans ce contexte, le meeting organisé à Montpellier, le 6 décembre, fait figure d’exception. C’était d’ailleurs la « première initiative nationale, pluraliste et convergente » . Tout l’arc des forces qui avaient participé à la campagne unitaire du « non » de gauche en 2005 y était représenté, du MRC aux Collectifs unitaires antilibéraux, en passant par le PCF, la LCR, les Alternatifs, le Mars, AlterEkolo ou PRS, sans oublier le syndicat Solidaires et l’association Attac. À la tribune, mais aussi dans la salle, où se pressaient 600 à 700 personnes attentives. « Pour certains, on ne s’était pas vu depuis deux ans » , confiait à la sortie un militant socialiste.

Premier intervenant, Yves Salesse, en pédagogue, a dénoncé « l’arnaque » consistant à faire croire que le traité de Lisbonne serait un « mini-traité » institutionnel quand « plus de 60 articles touchent directement aux politiques de l’Union » . C’est le cas notamment, a-t-il précisé, de l’engagement à augmenter les dépenses militaires, à étendre les missions de défense communes à la lutte contre le terrorisme, des dispositions qui « serrent encore plus les marges budgétaires des États membres » . Avant de s’insurger contre « la forfaiture » manifestée par « la volonté explicite [de Nicolas Sarkozy] d’aller contre la volonté populaire » et l’entente des Vingt-Sept d’imposer une Europe libérale sans aucune consultation des peuples.

Abondant dans le même sens, Aurélie Trouvé, coprésidente d’Attac, a surtout mis l’accent sur l’importance de « remettre l’Europe au coeur du débat citoyen » , d’ici aux élections européennes, en pointant le lien entre les politiques européennes et les politiques nationales de « démantèlement du droit du travail » ou de « libéralisation des services publics » . Non sans rappeler la nécessité de travailler à des alternatives au niveau européen. « Nous avons sous-estimé la nécessité de poursuivre le travail sur les questions européennes » , a complété Jean-Jacques Boislaroussie. Pour le porte-parole des Alternatifs, la campagne contre le traité de Lisbonne doit engager ceux qui y participent à « poursuivre ce travail dans la claire conscience qu’un certain nombre de mobilisations et de débouchés politiques nous obligent à penser européen, global, mondial » . « Nous n’avons pas été capables de rebondir et de construire un mouvement social européen capable de peser » , admet Pierre Khalfa, qui y voit « un problème politique majeur » .

Avant de songer y pallier, « le retour de la politique suppose que notre peuple soit consulté » , a plaidé Jean-Claude Gayssot. L’ancien ministre communiste a rappelé qu’en 2005 la preuve avait été faite de « l’absence de concordance entre l’opinion exprimée par les députés et sénateurs et ce que votait le peuple » . Plusieurs intervenants ont rappelé que les parlementaires avaient le pouvoir de contraindre Nicolas Sarkozy à organiser un référendum, tout simplement en votant contre la modification de la Constitution de la Ve République, préalable indispensable à la ratification du traité de Lisbonne. Cette modification doit impérativement obtenir une majorité de 3/5 des suffrages exprimés lors de son vote au Congrès (réunion de l’Assemblée nationale et du Sénat, à Versailles), a rappelé Jean-Luc Mélenchon. « Si tous les parlementaires de gauche votent contre, conformément à leurs engagements de campagne et de congrès, il nous manque huit voix » , a admis le sénateur socialiste, qui croit possible que des élus souverainistes et centristes fassent l’appoint. « Je préfère que nous perdions sur l’idée d’une consultation populaire parce que la droite l’a empêchée qu’à cause de la gauche » , a-t-il indiqué, en dressant une analogie entre ce scrutin et « le premier jour où la gauche et la droite ont existé dans ce pays » : « Le roi, qui prétendait faire adopter le droit de veto, a demandé, conformément à l’image biblique, que ceux qui étaient pour le veto et le roi se mettent à droite et que ceux qui étaient pour la souveraineté populaire se mettent à gauche. »

L’argument n’est pas pour déplaire à José Bové. Mais, convaincu que « parfois la raison ne suffit pas » , le syndicaliste paysan suggère à la salle un autre moyen : « Il ne faut pas avoir peur de leur dire qu’on ne votera pas [aux municipales et aux cantonales] pour ceux qui sont contre la démocratie » , avertit-il, en invitant à ne « pas faire de sentimentalisme » . Un propos très applaudi.

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