Inventer son boulot

Éleveur d’ânes, tailleur de pierre ou conseiller en humanitaire : les métiers alternatifs fleurissent dans les campagnes. Des associations d’éducation populaire soutiennent ces projets. Reportage.

Emmanuelle Mayer  • 31 janvier 2008 abonné·es
Inventer son boulot
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Voilà, je voudrais devenir fabricant de yourtes.
­ Fabricant de yaourts~? L’agroalimentaire, c’est chez ma collègue.
­ Non, de yourtes, vous savez, les yourtes mongoles…
­ Les quoi~?~»

Ce dialogue joué par la compagnie Prise de scène lors d’un séminaire organisé par l’Association de formation et d’information pour le développement d’initiatives rurales (Afip), en octobre dernier, résume avec humour le parcours du «~porteur de projet en milieu rural~» . Car les difficultés sont nombreuses pour qui veut vivre de ses passions~: métiers qui n’entrent pas dans les cases des administrations, banques réticentes, mais aussi pression sociale, comme en témoigne Sylvain Lardanchet~: «~Quand je faisais du défrichage administratif pour monter mon projet d’élevage d’ânes et d’accueil touristique, j’étais au RMI et certains me considéraient comme un profiteur de fonds publics~! Heureusement, l’association Développement-Animation Sud-Auvergne (Dasa) et la communauté de commune m’ont bien épaulé.~»

Illustration - Inventer son boulot


Sylvain Lardanchet a monté un projet d’élevage d’ânes et d’accueil touristique en Auvergne. JACQUES CLOUTEAU

Comme Sylvain, Jean-Philippe Rouanne a créé une entreprise originale~: fabricant de matelas en laine du Limousin, qu’il vend sur les marchés et sur Internet. François Aubert, lui, cumule les statuts de conjoint d’agricultrice, conseiller en humanitaire et salarié à temps partiel d’une coopérative en Ardèche~.

L’arrivée de citadins qui veulent changer de vie, l’offre d’emploi insuffisante, le développement de l’écologie expliquent la multiplication d’entreprises atypiques à la campagne. «~Ces créateurs inventent un métier », résume Xavier Lucien, animateur de Dasa. De quoi déstabiliser les chambres de commerce et de métiers~! Heureusement, ils peuvent compter sur les associations d’éducation populaire, comme les Civam (Centres d’initiative pour valoriser l’agriculture et le milieu rural), les Foyers ruraux, les Afip ou les Crefad (Centres de recherche, d’étude et de formation à l’animation et au développement). «~Ce n’était pas notre coeur de métier, mais des porteurs de projets se sont adressés à nous car ils se sentaient en phase avec nos actions et nos valeurs. Du coup, plusieurs associations se sont mises à proposer un service d’accompagnement à la création d’activités » , explique Johanne Villegas, de l’Afip. Réunies dans le cadre du projet européen Dora puis eDora [[Programme européen Dora~: «~Dispositif ouvert de ressources et d’accompagnement de projets d’activités en milieu rural~» (2001-2005).
eDora~: «~Essaimer DORA~» (2005-2007).]]
, ces associations ont échangé sur leurs pratiques et mis en place des expérimentations locales. Il en ressort notamment une réflexion sur le sens qu’elles accordent à des mots comme «~projet~», «~Très petite entreprise (TPE)~» ou encore «~viabilité~».

Ainsi, le créateur de TPE ne cherche pas à devenir patron mais plutôt à ne plus en avoir. Ces TPE ne sont donc pas des PME en puissance. Il s’agit de créer son emploi en lien avec son projet de vie, pas de croître indéfiniment, ce que les organismes classiques de la création d’entreprise ont parfois du mal à comprendre. Les associations constatent aussi des divergences sur le mot «~viabilité~». Littéralement, «~viable~» signifie~: «~qui remplit les conditions pour durer~». Or, «~très souvent, l’analyse se limite à des critères monétaires~» , déplore Xavier Lucien. Ainsi, si l’activité rapporte 600 euros par mois, elle est estampillée non-viable, même si la personne ne paie pas de loyer et vit de manière autonome avec son potager et sa machine à coudre. «~À l’inverse, une activité peut être tout à fait rentable, mais non viable car trop pénible, déstabilisante ou génératrice de conflits~», dénonce Xavier Lucien.

Le principal résultat de Dora est la mise en place de couveuses d’entreprises et de coopératives d’activités et d’emploi dans les territoires d’expérimentation. «~Ce n’était pas prévu, mais les échanges nationaux ont entraîné des développements concrets~» , se réjouit Johanne Villegas. Ces espaces permettant de tester son projet sont un atout pour ceux qui ne se sentent pas l’âme d’un patron~: «~Sans la coopérative, j’aurais arrêté tout de suite pour chercher un boulot~! Entreprendre seul, c’est trop difficile~», témoigne Yann Hélip-Soulié, tailleur de pierre, associé de la coopérative Cesam-Oxalys en Limousin. Dans le Nord-Pas-de-Calais, un lieu dédié à la création alternative a vu le jour. Installé dans un corps de ferme, ce Germoir rassemble une couveuse, une coopérative d’activités, des locaux et même des terres disponibles pour tester sa vocation agricole. Le programme eDora est aujourd’hui terminé, mais le Comité d’étude et de liaison des associations à vocation agricole et rurale (Celavar) a repris le bébé, et d’autres associations ont rejoint le réseau. Elles ont publié un manifeste pour affirmer la nécessité de soutenir la création de TPE rurales~: «~Élus, pouvoirs publics, ces enjeux vous concernent, vous pouvez et vous devez intervenir.~» L’appel sera-t-il entendu pour les municipales~?

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