Le grand embrouillamini

Faut-il nationaliser le scrutin ? La droite hésite. La gauche veut en faire un test face au gouvernement. Les alliances à la carte des socialistes contribuent à brouiller les pistes.

Michel Soudais  • 31 janvier 2008 abonné·es

À six semaines des municipales, le gouvernement hésite sur sa stratégie. Début janvier, aux Antilles, François Fillon s’était fixé pour objectif de les « remporter » . Le 12 janvier, devant le conseil national de l’UMP, le Premier ministre avait assuré que son gouvernement serait « aux côtés » des maires dans la bataille. Mais, le lendemain, sur RTL, le même assurait que les municipales ne constituaient « pas du tout un test pour l’action du gouvernement » . Deux pas en avant, un pas en arrière.

C’est à la même volte-face que s’est livré Nicolas Sarkozy. Lors de sa conférence de presse, le 8 janvier, le chef de l’État avait assuré qu’il ne resterait pas « comme le ravi de la crèche » à « attendre que [ses] adversaires se mobilisent » . « Je m’engagerai, parce que le concept même d’élection dépolitisée est absurde » , avait-il déclaré. Avant d’indiquer, le 22 janvier, à Pau, qu’il ne voulait pas se « mêler du détail des municipales dans chacune des villes de France » . « Ce n’est pas mon travail. » Étonnant quand on se souvient de l’énergie déployée pour imposer David Martinon, l’un de ses porte-parole, à Neuilly !

Comment interpréter cette inflexion stratégique ? Plusieurs maires sortants UMP se sont inquiétés d’une « nationalisation » des enjeux locaux à leur détriment. Ils estiment n’avoir rien à gagner si le scrutin vire au référendum sur le sarkozysme, au moment où les sondages montrent que le président de la République a déçu les attentes des classes populaires et choque leur électorat le plus traditionnaliste en surmédiatisant sa vie privée. À Bordeaux (Gironde), Alain Juppé a ainsi fait disparaître le logo de l’UMP de sa permanence et de ses affiches. Au sein même du gouvernement, Jean-Louis Borloo avait émis un bémol en assurant dans le Figaro (23 janvier) que « dans les villes en mutation accélérée […] le débat [serait] 100 % local » .

Au PS, ce repli apparaît comme une dérobade. « La droite se cache » , ironise François Hollande, qui veut « politiser le scrutin mais pas le dénaturer » . Sans faire des municipales une revanche de 2007, le Premier secrétaire du PS escompte bien qu’elles sonneront comme « un coup de clairon pour la gauche » . L’annonce de son retour. Mais quelle gauche ?

Le leader du PS peut bien répéter qu’une gauche rassemblée est « la seule stratégie qui permette de l’emporter » , aucune sanction n’est envisagée contre ceux qui font liste commune avec le MoDem de François Bayrou. Quand François Rebsamen, maire de Dijon et numéro 2 du PS, a annoncé conduire une liste arc-en-ciel, allant du MoDem au PC en passant par les Verts, le jeune Razzye Hammadi a demandé sa mise en congé de la direction, l’accusant de « bafouer l’orientation stratégique qui est celle du PS depuis plus de trente ans » . Il a été promptement désavoué. Et Dijon n’est plus un cas isolé.

À Roubaix (Nord), le maire sortant, René Vandierendonck, un ancien centriste, a ainsi dévoilé samedi une liste comptant 40 % de candidats PS, 30 % du MoDem, 6 % du PCF, 6 % du PRG et 18 % de la société civile. Arnaud Verspieren (MoDem), qui dirigeait la liste d’union de la droite en 2001, figurera à la troisième place. Cette ouverture, annoncée par le maire sortant « dès le premier tour de la présidentielle » , est présentée non comme le fruit de « ralliements de circonstance » mais le résultat d’un « véritable travail d’analyse, de diagnostic, de projet avec le MoDem » .

Même cas de figure à Grenoble (Isère), où Michel Destot, qui brigue un troisième mandat, conduit une liste incluant neuf militants du MoDem, sept communistes, un PRG, un MRC, trois membres de l’opposition municipale de droite, un élu écologiste et de nombreuses personnalités de la société civile. « Nous partageons le même regard sur l’avenir » , souligne-t-il. Présent sur cette liste, le président départemental du MoDem, Philippe de Longevialle, assure avoir obtenu des « garanties sur le projet ainsi que sur l’autonomie de son parti » . Et insiste sur le fait que sa participation n’est ni un ralliement ni une fusion, mais le fruit « d’un accord politique » .

Ces listes « arc-en-ciel » et les accords PS-MoDem envisagés entre les deux tours, comme à Paris, dessinent une vision de l’alternance de 2012 différente de celle portée par les listes d’union de la gauche. Derrière l’enjeu gauche-droite du scrutin, se profile ainsi un des enjeux du prochain congrès du PS, qui ne contribuera pas à rendre aisée la lecture du scrutin des 9 et 16 mars.

Politique
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