L’insolence de la parole

Inspirée par les conversations entre l’Israélienne Amira Hass et le Palestinien Mahmoud Al Safadi, la pièce « MurMure » projette un éclairage rieur et saisissant sur la tragédie du Proche-Orient.

Gilles Costaz  • 10 janvier 2008 abonné·es

On pouvait certainement tirer une pièce fidèle et respectueuse du livre recueillant les conservations échangées par la journaliste israélienne Amira Hass et le prisonnier palestinien Mahmoud Al Safadi. Ce n’est pas exactement ce qu’ont fait les auteurs et metteurs en scène Gaël Chaillat et Ariel Cypel en montant MurMure, au terme d’un long travail autour de ce texte pour le théâtre parisien Confluences, le Collectif 12 à Mantes-la-Jolie et la Friche Anis Gras à Arcueil. Ils ont préféré explorer les pouvoirs du théâtre, catapulter la réalité et la fantaisie, mêler l’abstrait et le concret, n’être militants qu’à coups de poésie, de clownerie et d’insolence, jouer avec le monde et les bouts de ficelle d’un spectacle sans grands moyens, frapper du poing sans perdre la complexité si souvent absente des slogans et messages partisans.

C’est en 2004 qu’Amira Hass parvient à obtenir de Mahmoud Zahara Al Safadi ses premières confessions depuis la prison israélienne où il purge alors une peine de vingt-sept ans d’enfermement pour participation à un mouvement illicite, jets de cocktails Molotov et incendies de véhicules. Amira Hass, elle, est une journaliste connue, correspondante du quotidien Ha’aretz , qui a suivi à Gaza les événements du transfert des pouvoirs à l’Autorité palestinienne, avant d’écrire son livre Boire la mer à Gaza. L’entrée illégale de téléphones portables dans la prison permet ce premier échange, qui peut continuer pendant quatre mois avant la confiscation des appareils. Amira et Mahmoud poursuivent leurs discussions par lettres, contrôlées par la censure de la prison. Amira tirera un livre important de ces conversations et de cette correspondance.

Mahmoud Al Safadi a été libéré il y a un peu plus d’un an. Il vit à présent à Jérusalem-Est. Amira Hass, soutenue par plusieurs fondations importantes, collabore toujours à Ha’aretz et habite Ramallah. Elle a obtenu le World Press Freedom Award pour son activité de journaliste. Tous deux viennent à Paris cette semaine pour les représentations de la pièce et des débats publics. Ils retrouvent les deux auteurs-metteurs en scène qui sont venus les rencontrer sur place pour leur parler du spectacle en cours d’élaboration.

Le spectacle commence dans la salle, tandis que la scène est voilée par un rideau. Où sont les téléphones portables ? Une actrice jouant au garde-chiourme fait la chasse aux mobiles, jusqu’à ce que le rideau s’ouvre et révèle une sorte de cellule. Quatre comédiens y incarnent quatre captifs, extirpant un portable du corps de l’un d’eux et retrouvant une forme de liberté. L’actrice qui interprète la journaliste (et plusieurs rôles, car, ici, chacun est un peu caméléon) intervient. « Comment aller du point grand A au point grand B ? » devient la question essentielle du prisonnier, symbole de tout Palestinien, interdit de déplacement dans son propre pays. La pièce se souvient alors de la scène des comédiens dans le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare~: un histrion doit y «~interpréter~» le mur qui sépare Pyrame de Thisbé. Comment incarner un mur~? Comment jouer les fissures dans la muraille~?

Le ton devient plus pamphlétaire quand le texte de Martin Luther King, J’ai fait un rêve, est dit avec un nez rouge et les oreilles de Mickey. Mais la colère gronde, refusant les simplifications dangereuses~: l’Holocauste a eu lieu, et on ne peut admettre qu’on en dénie l’histoire et l’horreur. Les personnages téléphonent à Paris, à New York, à Vienne (au docteur Freud, pour lui demander que comprendre à cette élimination des autres !). « Cassons ce mur ! » , proclament-ils. Le spectacle finit néanmoins sur une chanson enfantine.

MurMure, que jouent avec un sens permanent et heureux du dédoublement Elie Axas, Gaël Chaillat, Sarah Chaumet, Guy Elhanan, Mohamed Hirzallah, Lahcen Razzougui et Stéphane Shoukroun, est une fable grave et chahuteuse. On n’y parle pas de prison mais de « maison de décoloration » . La métaphore et la parabole, où se croisent l’art oriental du dialogue et la dialectique de l’Occident, y déshabillent l’imposture des mensonges officiels.

Culture
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