La démocratie sacrifiée

L’abdication d’une partie des parlementaires socialistes et Verts, lundi, à Versailles, ouvre la voie au traité de Lisbonne. Le vote des Français est nié. Si elle veut peser, la gauche du « non » doit s’entendre.

Michel Soudais  • 7 février 2008 abonné·es

François Fillon a-t-il bien mesuré la portée de son propos ? En invitant les parlementaires, réunis en Congrès à Versailles, à émettre un vote pour « l’histoire » , le Premier ministre voulait certes rappeler que l’adoption de la révision constitutionnelle allait permettre une ratification rapide du traité de Lisbonne. Et ainsi « relancer au plus vite l’élan » d’une construction européenne que la France aurait « contribué à briser » en rejetant le traité constitutionnel européen, le 29 mai 2005. Mais si le caractère historique du vote du 4 février est indéniable, c’est à cette volonté d’effacer le vote des Français qu’il le doit.

Illustration - La démocratie sacrifiée


Le socialiste Jean-Luc Mélenchon entouré des sénateurs (PCF) Odette Terrade, Nicole Borvo et Guy Fischer s’apprêtent à remettre au Congrès 120 000 signatures en faveur d’un référendum. PATRICE LECLERC/PHOTOTHÈQUE DU MOUVEMENT SOCIAL

Dans toute l’histoire politique de la France, jamais le vote négatif du peuple dans un référendum n’avait été foulé aux pieds et censuré par ceux-là mêmes qui se gargarisent du beau titre de « représentants du peuple ». « Après le référendum du 5 mai 1946, une nouvelle Assemblée constituante a été élue, et un nouveau référendum, le 13 octobre 1946, a permis d’adopter la Constitution de la IVe République, rappelait récemment le constitutionnaliste Didier Maus [^2]. Le 27 avril 1969, le peuple français a rejeté le projet présenté par le général de Gaulle à propos de la régionalisation et d’une réforme du Sénat. Le résultat a entraîné, dans les heures qui suivirent, la démission du président de la République. De ce fait, cette réforme est restée lettre morte. »

La ratification du traité de Lisbonne par les seuls députés et sénateurs, à laquelle le vote du Congrès de lundi ouvre la voie, est donc sans précédent. Car, au traité rejeté, les chefs d’État et de gouvernement ont substitué, avec la complicité de Nicolas Sarkozy, un traité jumeau. Même si les anciens partisans du traité constitutionnel prétendent le contraire. La plupart des chefs d’État et de gouvernement attestent d’ailleurs la similitude des deux textes. Le gouvernement espagnol refuse ainsi d’organiser un référendum sur le traité de Lisbonne au prétexte que ses dispositions sont identiques à celles du traité constitutionnel que les Espagnols avaient approuvé par référendum en février 2005.

Pressé d’en finir, le gouvernement a concocté un calendrier des plus resserrés pour faire adopter ce traité avant les vacances parlementaires qui débutent vendredi soir. Le projet de loi de ratification devait être présenté mercredi matin en Conseil des ministres pour être examiné dans la soirée par les députés, invités à se prononcer ce jeudi par un vote solennel. Dans la foulée, le texte doit être examiné, en séance de nuit, par le Sénat.

Cette célérité fait tousser jusque dans les rangs des « ouistes ». Jean-Marc Ayrault « juge honteuse ­ pour l’Assemblée, pour les Français et pour l’Europe ­ la décision du gouvernement d’organiser le débat sur le nouveau traité de l’Union à toute allure, au milieu de la nuit » . On ne peut qu’acquiescer. Mais le président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale pousse un peu loin la protestation hypocrite quand il déclare (le 1er février !) : « Non content d’escamoter le droit pour les Français de se prononcer directement par référendum, le gouvernement réduit à rien la délibération des députés. »

Les parlementaires avaient en effet un moyen d’imposer à Nicolas Sarkozy une consultation du peuple français : voter contre la révision constitutionnelle, lundi, au Congrès. Au lieu de cela, François Hollande et les présidents des groupes socialistes à l’Assemblée nationale et au Sénat ont préféré prôner l’abstention. Ce faisant, ils ont laissé filer la dernière chance de s’opposer à la volonté du chef de l’État de passer par-dessus la volonté populaire (voir encadré). Juste avant le vote, le député communiste Alain Bocquet, président du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, leur avait lancé une ultime mise en garde : « Voter la réforme constitutionnelle ou la laisser passer en s’abstenant reviendra au même. […] Puisque vous êtes favorables à un référendum, c’est le moment d’agir ! »

Agir ? Quelle drôle d’idée ! « Nous ne voulons pas faire obstacle à un traité que nous soutenons » , lui répondit Pierre Moscovici, à la tribune. « Je vais m’abstenir parce que je pense que mon abstention n’empêchera pas la révision de la Constitution » , expliquait quant à elle Élisabeth Guigou.

Les partisans d’un référendum avaient beau s’attendre à cette « trahison » , celle-ci laissera des traces au sein de la gauche. Jusqu’au bout, ils se sont mobilisés, multipliant réunions publiques et rassemblements, dans un silence médiatique impressionnant. Près de 2 000 personnes assistaient au rassemblement parisien organisé par le CNR, à Paris, samedi ; 500 à Aubagne pour un dernier meeting national. Ils étaient encore un bon millier dans les rues de Versailles, lundi, pour porter au Congrès d’épais registres où avaient été consignés les noms des 120 000 signataires de la pétition du Comité national pour un référendum (CNR).
Autant pour crier leur colère que leur volonté de poursuivre la bataille pour une Europe sociale, écologique et démocratique. « Une bataille de long terme, commencée en 2005, qui ne doit pas s’arrêter avec le vote ratification » , a déclaré Marie-George Buffet. Prochaines étapes : la présidence française de l’Union européenne au second semestre 2008 et les élections européennes de juin 2009, que la numéro un communiste veut « transformer en référendum » . Il faudrait pour cela envisager une liste unique des anciens animateurs de la campagne du « non » de gauche. Et faire taire les divisions de la campagne présidentielle, qui ont aussi favorisé l’imposition du traité de Lisbonne. Beau chantier en perspective.

[^2]: Le Figaro, 18 janvier.

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