La fin d’un exil inique

Chassés par dizaines de milliers de leur pays après les massacres de 1989 sur les rives du fleuve Sénégal, les Peuls mauritaniens ont entamé avec prudence leur retour officiel. Reportage.

Patrick Piro  • 7 février 2008 abonné·es

Joyeux branle-bas sur la rive gauche du fleuve Sénégal. En gilet azur, le personnel de l’agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR) virevolte autour d’une dizaine de camions, distribuant formulaires, fiches et consignes. Sous les bâches, une centaine de réfugiés mauritaniens, avec quelques matelas et une dizaine de chèvres, attendent patiemment l’exécution d’une kyrielle de formalités avant d’embarquer pour leur pays. Mardi 29 janvier, grâce à un accord entre la Mauritanie, le Sénégal et le HCR, c’est le retour d’un premier contingent officiel de volontaires, après la grande vague de déportations qui a suivi les tueries d’avril 1989 sur les bords du fleuve.

Illustration - La fin d’un exil inique


Réfugiés s’apprêtant à rentrer en Mauritanie. PATRICK PIRO

On compte et on recompte. « Il y a un nouveau-né en plus » , hurle un agent du HCR. 21 familles, 102 personnes, toutes peules. Le chiffre a constamment évolué au cours des jours précédents. Une famille a été rejetée ­ incertitude sur son identité ­, quatre autres ont finalement confirmé leur intention de faire partie de ce premier wagon.

Ils sont nombreux à avoir refait leur vie au Sénégal, où les quelque 250 camps de réfugiés étirés le long du fleuve ont vu naître la plupart de leurs enfants. « Mais le sentiment d’appartenance est resté très fort , souligne Mustapha Touré, porte-parole de la coordination des associations de réfugiés mauritaniens au Sénégal et au Mali. Les gens ont toujours cru au retour. »

Au fil des ans, les réfugiés se sont organisés en d’incontournables associations, qui ont exigé d’être associées à toutes les décisions avant d’appuyer l’opération. Leurs représentants ont obtenu de pouvoir vérifier l’état des trois premiers sites de retour sélectionnés par le gouvernement ­ la ville de Rosso, de l’autre côté du fleuve, le quartier PK6, à sa périphérie, et le village de Medina Salam. Avis favorables, mais pas unanimes. « J’ai décidé de revenir malgré l’avis contraire du comité du camp de Dagana, explique Mamadou, qui y est né en 1989. Il y a des rumeurs, certains craignent une trahison… » Prétexte, luttes d’influence parmi les représentants des réfugiés ? « Je crois que nous n’avons plus rien à craindre aujourd’hui, dément Ousama. En juin dernier, le Président a juré sa sincérité sur le Coran. » En république islamique, c’est considéré comme largement suffisant.

Gouverneur, ambassadeur, consul, maire, gradés, les discours solennels des autorités sénégalaises s’enchaînent sur l’embarcadère. Énième vérification, et c’est enfin le départ du bac. On déroule de petits drapeaux mauritaniens précieusement conservés pendant toutes ces années. Quatre minutes de traversée pour effacer dix-neuf ans d’exil inique, quelques larmes roulent sur les joues. Bien sûr, de nombreux rapatriés ont déjà fait le trajet clandestinement, en pirogue, de nuit ou à l’aube, pour aller visiter la famille restée côté mauritanien, reconnaît Mansour. « Au début, le couvre-feu interdisait même les baignades, à partir de 17 heures. Et les soldats tiraient… »

Rosso, Mauritanie : une foule en liesse obstrue le débarcadère. Les messages de bienvenue fusent des rangs des familles, mais aussi des délégations des partis politiques, venus s’approprier une bribe de l’événement. Nouvelle guirlande de discours officiels, mais beaucoup plus millimétrés. Yahya ould Ahmed Waghf, ministre secrétaire général de la présidence, prodigue remerciements et assurances avec sobriété. Derrière l’unanimité de façade, le retour de « nos chers compatriotes » fait déjà l’objet de spéculations politiques (voir ci-contre).

Mais, en cette « journée de paradis » , comme la qualifie Amadou Samba Ba, président de la coordination des réfugiés, il convient d’être aux petits soins pour ces derniers. Nourris, désaltérés et d’abord rétablis dans leurs pleins droits de citoyens : dépouillés de papiers lors de leur expulsion, ils passent l’après-midi à remplir des bordereaux dans les bureaux locaux de l’état-civil. On ouvre fièrement des registres neufs. N° 0001 : Marième Maouloud Diagne. Un cadre de l’administration indique au préposé la case à biffer quand la date de naissance est approximative. « Ne dites plus réfugiés, ce sont des citoyens, désormais » , récite un officiel.

Du côté du HCR, on s’inquiète du retard que prend l’opération : il n’est pas prévu de camp de transit, tout le monde doit avoir gagné son site d’installation avant la soirée. À 19 heures, deux premiers camions s’ébranlent enfin vers Medina Salam. Il leur faudra deux heures et demie pour parcourir les 40 km de brousse. Au village, plongé dans la nuit, la haie d’honneur attend depuis longtemps les « parents » de retour. Les femmes exultent, la fête est prête. Ce soir, la cinquantaine d’anciens déportés dormira sous des tentes du HCR. Demain, tout commence. Pas de problème pour les dotations d’urgence ­ nourriture, couvertures, ustensiles de cuisine. Ni même pour la livraison prochaine de briques et de ciment pour construire en dur. Les vraies difficultés apparaîtront quand ceux qui ont perdu terrain, champs, troupeaux en demanderont récupération ou bien dédommagement. « C’est désormais une affaire mauritanienne » , traduit diplomatiquement Didier Laye, chef de la mission HCR.

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