Graines de discorde

Comment le groupe industriel Monsanto s’est imposé au monde politique et économique.

Jean-Claude Renard  • 6 mars 2008 abonné·es

Ça débute comme ça. Deux jardiniers du dimanche s’apprêtent à désherber leur carré de potager. Ils lisent les étiquettes de deux bidons de Roundup. L’une plus ou moins ancienne, l’autre plus récente. Sur la première est écrit « désherbant biodégradable ». Sur la seconde, aucune indication. C’est le même produit. À cela près qu’il y a eu une petite rectification. « Fais gaffe qu’on n’en reçoit pas dans la figure ! », dit l’un quand son complice remplit son pulvérisateur. En guise de pendant, un fermier de l’Iowa, aux États-Unis, se félicite de sa récolte de soja « Roundup ready ». Il explique : « Le soja contient une protéine qui a été introduite dans la plante par manipulation génétique, qui la rend résistante au Roundup. » Le fameux produit est pulvérisé sur le champ de soja. Un champ sans mauvaises herbes. Et une agriculture sans agriculteurs.

Le ton est donné dès les premières images de ce documentaire de Marie-Monique Robin [^2], qui poursuit par une présentation de Monsanto d’après son site Internet : « Une compagnie agricole dont l’objectif est d’aider les paysans à produire des aliments plus sains tout en réduisant l’impact de l’agriculture sur l’environnement. » Entreprise louable, pas piquée des hannetons. Au reste, il n’y a plus de hannetons. Le produit phare de la firme, le Roundup, est un herbicide vendu depuis plus de trente ans.

Mais cette remarquable enquête ne se cantonne pas au désherbant. Longue de trois années, à travers l’Amérique du Nord, du Sud, en Europe et en Asie, elle s’attache à retracer l’histoire de Monsanto, entreprise créée en 1901, à Saint Louis. C’est alors une firme chimique. Aujourd’hui, ce sont dix-huit mille employés répartis dans une cinquantaine de pays, un milliard de dollars de bénéfices en 2007. Monsanto est le leader mondial de la biotechnologie. Et 90 % des OGM cultivés sur la planète lui appartiennent. C’est aussi l’un des plus grands pollueurs de l’ère industrielle, déclinant PCB, agent orange, hormones de croissances… Déclinant aussi les pollutions dissimulées, les publicités mensongères (hautement toxique pour l’environnement, le Roundup en est un exemple).

Sans avoir à faire de portrait à charge (il y a assez de scandale en Monsanto pour n’avoir pas à en ajouter), Marie-Monique Robin s’est appuyée sur des documents, des images d’archives, des témoignages inédits de scientifiques, d’avocats, de politiques, de représentants de la Food and Drug Administration (la FDA, l’administration américaine gérant les denrées alimentaires et les médicaments). Une matière suffisante pour pointer ici les corruptions, là les collusions entre les dirigeants de Monsanto et la FDA (les uns travaillant pour les autres et inversement). Parmi les moments clés du documentaire, précisément, un aveu de James Maryanski, de la FDA : sous Clinton, il n’a été procédé à aucun test scientifique valable avant la mise sur le marché des OGM. L’autorisation de commercialiser des semences et des produits alimentaires génétiquement modifiés répond à une décision politique, hors de toutes données des experts.

Autre archive de choix : Bush père, en 1987, alors vice président de Reagan, en visite dans les labos de Monsanto. Il s’y proclame agent de la déréglementation, réduisant ainsi toutes entraves sanitaires. Plusieurs voix, une convergence : derrière l’image d’une société propre et verte affichée par une propagande publicitaire de poids, se déploie un projet hégémonique menaçant la sécurité alimentaire du monde et l’équilibre écologique de la planète.

[^2]: La réalisatrice est invitée sur France Inter, lundi 10 mars, de 14h à 15h.

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