Le feu, le sang et le sionisme

Dans son dernier ouvrage, le journaliste Charles Enderlin montre de l’intérieur le combat clandestin pour la création d’Israël et les racines idéologiques des fondateurs du Likoud.

Denis Sieffert  • 13 mars 2008 abonné·es

Journaliste bien connu, Charles Enderlin n’est certes pas historien. Mais cela fait longtemps que le correspondant de France 2 à Jérusalem recherche, répertorie et archive sur cette histoire d’Israël et du conflit israélo-palestinien, et remonte le fil du temps pour écrire bien en amont de l’actualité. Il y ajoute, bien sûr, l’art du récit et le souci de reconstituer la trame des événements au plus serré. Son dernier ouvrage ne fait pas exception. Comme son titre l’indique, Par le feu et par le sang s’inscrit dans la veine de la déconstruction des mythes. La fable de l’exode volontaire de quelque huit cent mille Arabes palestiniens est là aussi sévèrement battue en brèche. Mais Enderlin nous plonge à l’intérieur du mouvement sioniste. Depuis la grande révolte arabe de 1936 jusqu’à la proclamation de l’État d’Israël, il fait revivre les personnages et les débats, notamment au sein de l’aile la plus radicale du mouvement. On retiendra notamment la forte évocation de la figure d’Avraham Stern, poète, helléniste brillant, et chef de l’Irgoun, puis du groupe qui porte son nom, et qui sera le plus violent dans les assauts contre les villages arabes, en 1948. Mystérieuse rencontre de la sensibilité romantique et de la brutalité politique. Ceux qui aiment comprendre, fût-ce la psychologie et les motivations des personnages les plus controversés, trouveront ici matière à réflexion.

Mais le lecteur découvrira surtout les racines idéologiques de quelques-uns des émules les plus en vue de Jabotinsky, l’ancêtre du Likoud. En mai 1935, on aperçoit, par exemple, le futur Premier ministre israélien, Menahem Begin, jeune militant de la branche polonaise du Betar, défilant dans un cortège de « chemises brunes » aux obsèques du maréchal putschiste et nationaliste Pilsudski. Le culte de la force, l’apologie de la violence et du fait accompli sont, dès cette époque d’avant-guerre, théorisés par des idéologues qui seront à la tête d’Israël à partir de 1977, et y sont toujours aujourd’hui. Leurs intentions, dites, écrites et réaffirmées, même si elles ont dû être, par la suite, tempérées par le principe de réalité, fournissent aussi un éclairage cru sur les stratégies actuelles. Les visées territoriales des dirigeants de cette branche du sionisme que l’on appelle « révisionniste » n’allaient-elles pas jusqu’à englober la Transjordanie (le royaume actuel de Jordanie) et rêver de la Mésopotamie ?

Le choix systématique du terrorisme résonne aussi étrangement dans la situation présente. Mitraillage d’autobus transportant des postiers arabes, explosifs disposés dans le souk d’Haïfa font leur apparition dès 1938. « Ni l’éthique d’Israël, ni la tradition d’Israël ne peuvent rejeter cette forme de combat » , écrivaient les jeunes dirigeants du groupe Stern en 1943. Et ils ajoutaient cette forte réflexion *: « Si nous disposons de la force (la force : cela signifie la police et l’armée), nous pouvons promulguer des lois nous convenant, et tous ceux qui les enfreignent sont des révolutionnaires, des terroristes ou des anarchistes. »* L’un des trois auteurs de ce texte s’appelait Yitzhak Shamir, futur Premier ministre d’Israël. Le livre d’Enderlin est riche en documents de ce genre et en témoignages recueillis auprès des survivants de cette histoire qui n’a jamais cessé d’être tragique.

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