« Un secteur économique à part entière »

Face au Medef qui monopolise la représentation patronale, les employeurs de l’économie sociale doivent être mieux représentés dans les instances nationales, estime Marie-Hélène Gillig, déléguée générale du Ceges*.

Philippe Chibani-Jacquot  • 20 mars 2008 abonné·es

En 2002 les listes de l’AEES [^2] ont récolté 11,7% des voix «~employeurs~» aux élections ?prud’homales. Quel est l’enjeu des élections cette année?

Marie-Hélène Gillig : Nous devons montrer que nous sommes présents et réclamer notre place dans les instances. Il est question de revoir les critères de représentativité au niveau national pour l’ensemble des partenaires sociaux. Avec 11,7 % en 2002, les employeurs de l’économie sociale ne sont pas représentés au Conseil de la prud’homie.

Deuxième exemple, les partenaires sociaux sont invités au Grenelle de l’insertion. Pour les partenaires patronaux, c’est le Medef qui est présent et pas nous. Nous sommes exclus ! Alors que, lorsqu’il est question d’insertion, ce sont à 90 % des organisations de l’économie sociale et solidaire qui répondent présent et sont employeurs.

Illustration - « Un secteur économique à part entière »

Le Medef monopolise la représentation patronale.
PIERMONT/AFP

Ce manque de reconnaissance est-il technique ou idéologique ?

Aujourd’hui, nous sommes face à un problème d’idéologie, mais la difficulté vient aussi du fait qu’il n’y a pas très longtemps que les organisations de l’économie sociale et solidaire ont décidé d’engager une action ensemble pour être reconnues comme un secteur économique à part entière.

Les poids lourds (mutuelles de santé, banques) ont longtemps mis de côté leur identité sociale…

Durant un temps, leur objectif a sûrement été de montrer qu’ils pouvaient faire aussi bien que les autres. J’ai le sentiment que cette période est un peu derrière nous.

Émerge aujourd’hui la volonté de présenter l’économie sociale comme une économie engagée, efficace en termes de résultats économiques et performante sur le volet social. Nous refusons l’idée qu’il faille des résultats économiques avant de s’intéresser aux questions sociales. Deuxième idée, nous réaffirmons notre attachement à une économie plurielle, c’est-à-dire qui permette à chacun de choisir son mode d’organisation, et de ne pas être dans l’obligation de créer une société de capitaux.

À l’époque du gouvernement Jospin, on parlait du tiers secteur pour revendiquer cette économie plurielle. Sont-ce des termes que vous pourriez employer ?

Nous préférons parler d’économie sociale et solidaire. Dans « tiers secteur », on entend ce qui n’a pas de fonctions économiques de production. C’est très centré ONG, bénévolat, «~charité~». Ces approches font partie de l’économie sociale et solidaire, mais celle-ci représente aussi un secteur bancaire et des mutuelles d’assurances.

On peut également parler de l’éducation populaire et d’autres activités dont la solvabilité est moins évidente…

Nous sommes aujourd’hui dans une situation étonnante où ces acteurs associatifs ne sont financés que projet par projet. Mais, pour qu’ils puissent être innovants, il faut du temps. Qui finance ce temps-là ? Je crois beaucoup au bénévolat, mais il y a, dans les associations, une part de professionnalisme nécessaire. Il faut des gens compétents, qu’on ne peut pas éternellement payer au Smic.

Vous parlez au niveau national, mais ne faut-il pas agir au niveau européen ?

On l’a vu avec la directive Service sur les notions de services d’intérêt général. Cette notion doit être définie au niveau européen. Même si l’Europe renvoie aux États pour définir ce que chaque pays entend par «service d’intérêt général» pour justifier de situations particulières, comme la participation publique à des activités.

La question des statuts européens se pose aussi. Il existe un statut européen de la coopérative. Nous réclamons la même chose pour les mutuelles, les associations et les fondations. Nous voulons que nos organisations puissent avoir des relations entre elles à travers un statut reconnu au niveau de l’Union. Nous espérons que le gouvernement soutiendra, dans le cadre de la présidence française de l’Union, une conférence européenne de l’économie sociale. Il faut considérer l’apport original des entreprises de l’économie sociale dans le marché pour pouvoir parler des règles de la concurrence et du cadre juridique applicable. Nous vivons une insécurité juridique qu’il faut clarifier.

Il est également nécessaire de considérer l’apport de l’économie sociale dans le développement local. Nous sommes des entreprises non délocalisables. Nous agissons dans les territoires.

Le Ceges a agrégé nombre d’organisations. Faut-il continuer pour atteindre un taux intéressant en termes de représentativité ?

Oui, sûrement. Le mode de représentation, défini il y a quelques années, consiste à regrouper les « familles » de l’économie sociale. Par famille, on entend « statut ». Je pense qu’une réflexion est à mener pour trouver comment les représentations thématiques pourraient être mieux identifiées.

[^2]: L’Association des employeurs de l’économie sociale présente les listes communes à l’ensemble des organisations (dont le Ceges) et assure la formation des élus.

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