Cadre flou

Christine Tréguier  • 24 avril 2008 abonné·es

Triplement du nombre de caméras de surveillance dans les lieux publics d’ici à 2009, interconnexion à des fins policières, non-consultation des commissions départementales pour l’équipement des sites sensibles, absence de pouvoir de sanction et de réelles décisions de celles-ci… Serions-nous entrés dans l’ère de la vidéosurveillance décomplexée et sans contrôle ? La ministre de l’Intérieur s’en défend. « J’attends de la Commission nationale de vidéosurveillance [CNV], a-t-elle dit en novembre dernier lors de l’inauguration d’icelle, qu’elle soit garante des libertés. » Problème, la CNV n’est pas une autorité indépendante, mais une commission administrative à caractère consultatif, sous tutelle du ministère de l’Intérieur, et composée pour plus de la moitié de représentants issus du ministère ou directement nommés par le président de la commission, Alain Bauer, l’expert ès sécurité du chef de l’État.

Il y a bien les commissions départementales, instituées par la loi de 1995 pour autoriser et, depuis 2006, contrôler les installations dans les lieux ouverts au public. Mais, comme le souligne le président de la Cnil dans une note transmise à Michèle Alliot-Marie, leur pouvoir se limite à des avis consultatifs et des recommandations transmises aux préfets. La loi de 1995 avait l’avantage d’écarter toute interférence de la Cnil sur l’extension de la vidéosurveillance à des fins sécuritaires et policières, ne lui concédant que le contrôle des installations dans les lieux non ouverts au public et les enregistrements faisant l’objet de traitements automatisés, réglementés par la loi Informatique et Libertés. Mais le numérique a changé la donne. « Des images enregistrées sur CD, et indexées par date et heure, constituent un fichier » , souligne Yann Padova, secrétaire général de la Cnil. Aujourd’hui, les traitements automatisés sont partout, et les caméras s’insinuent à l’école, dans les transports, les hôpitaux, les résidences privées et sur les lieux de travail. Pour Alex Turk, président de la Cnil, le problème est d’une « extrême gravité » . Il demande que ce « cadre légal extrêmement complexe, flou et aléatoire » soit clarifié d’urgence et qu’une « autorité tierce indépendante » contrôle tous les systèmes et garantisse les droits et libertés des individus. Un rôle que la Cnil propose d’assumer à moindre frais et rapidement. Alain Bauer estime lui aussi qu’il faut une autorité administrative, mais rappelle que la Cnil est la première à confesser son manque de moyens.
Au ministère, on s’interroge sur un repositionnement de la CNV. La transformer en autorité indépendante pourrait prendre deux ans, le temps d’atteindre l’objectif fixé sans être importuné.

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