Fantaisies métissées

Richard Demarcy revisite « Alice au pays des merveilles » avec chaleur et poésie.

Gilles Costaz  • 10 avril 2008 abonné·es

Le Grand Parquet, c’est un parquet de bal avec un toit ! Autour, le désordre tumultueux du nord de Paris, les chantiers de la porte de la Chapelle et, surtout, la rue du faubourg Saint-Denis, plus indienne qu’une artère de Bombay ! Il y a là les Bouffes du Nord de Peter Brook, indiennes aussi à leur façon, mais si chic, si bien dotées, tournées vers l’élégant public cultivé !

Le Grand Parquet, c’est tout le contraire. Ça brinquebale tout en résistant aux tempêtes, et accueille le public le plus métissé et les enfants de familles défavorisées. Dans le cadre de cette politique, confiée à François Grosjean, l’action du Naïf Théâtre de Richard Demarcy, compagnie associée à ce lieu, a un rôle moteur. Elle privilégie les spectacles multiculturels. Avec cette équipe, l’habituelle routine franco-française de nos gens de théâtre vole en éclats !

Richard Demarcy est un vieux briscard, un poète déchaîné, un artiste qui aime le tangage dans les mots et sur la scène. Sa première pièce, le Secret , date de 1973 ; depuis ces années agitées où il faisait couler des tonnes d’eau salée sur la scène du théâtre du Centre Pompidou pour donner au Snark de Lewis Carrol tout son parfum de hareng saur, il n’a cessé d’imaginer des histoires irraisonnables et de visiter les mythologies du monde entier. Aujourd’hui, il revient à Lewis Carroll et au conte absolu, Alice au pays des merveilles , pour en faire sa propre version, Fantaisies pour Alice.

Première innovation : Alice, dans sa robe bleue, est noire, jouée avec un bel étonnement gourmand par Tina Fall. Ses partenaires sont eux aussi inattendus, venant de France et d’ailleurs : Yiling Yang, Alfa Ngau Domingas, Antonio Da Silva, Ugo Broussot et Nicolas Le Bosse. Il y a plus de couleurs que de décors, plus de masques, de perruques et de tenues qu’on change en hâte, plus d’accessoires qu’un climat donné une fois pour toutes. Les encadrements de porte qu’Alice doit franchir apparaissent et disparaissent : elles assurent la continuité de l’histoire dans un spectacle où tout est métamorphoses. Une table peut se transformer en dix lieux divers, et ainsi de suite. Demarcy s’amuse avec les références cinématographiques et musicales, joue sur la gémellité des chats, se souvient des contes éternels et des feuilletons d’aujourd’hui.

Le plaisir vient de ce que c’est toujours du théâtre, et non une sorte de digest de série télévisée transposé au théâtre et relayé par un appareillage de machines et de lumières subtil comme un marteau-piqueur. Non, là, cela vit, court, galope ; ce sont des êtres humains, tantôt fraternels, tantôt mystérieux, qui sont à portée de main. C’est juste la mallette du magicien portée à la dimension du théâtre et de la poésie. Le jeune public est ravi, attentif, et pas seulement lui. Car le nonsense anglais d’ Alice prend un sens planétaire.

Culture
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