Jubilons en attendant la mort

France Inter consacre une journée à Pierre Desproges, à l’occasion des vingt ans de sa disparition.

Jean-Claude Renard  • 17 avril 2008 abonné·es

18 avril 1988, une dépêche de l’AFP tombe dans toutes les rédactions : « Desproges est mort d’un cancer. Étonnant, non ? » Difficile alors de ne pas croire à une nouvelle blague. Qui lui ressemblerait. Après tout, « on peut rire de tout » , disait-il. « Mais pas avec tout le monde », renchérissait le bougre. Desproges avait pourtant prévenu : « Moi je n’aurai jamais de cancer ! Je suis contre ! » Ni pour ni contre à vrai dire, bien au contraire. Desproges était fin dribbleur de mots, poussant toujours du côté de la provocation. Ses Chroniques de la haine ordinaire et ses excès au Tribunal des flagrants délires rendent largement compte de ses facettes multiples…

Dans la machine à rager, enrager drôlement de Desproges, tout y passe : Dieu et les gendarmes, les barreaux aux fenêtres, les paparazzi collaborateurs à Je suis partout , les marches forcées et les lois collectives, les jeunes ( « L’humanité est un cafard, la jeunesse est son ver blanc » ), Jack Lang, « cette frétillante endive frisée de la culture en cave » … Desproges se voyait plutôt écriveur qu’écrivain. Il n’empêche, c’est bien là un travail de styliste, sculpteur de la phrase, au coin de l’ironie et de l’humour, avec sa virgule assassine, une manière de faire sauter phrases et sentences, de s’amuser de la ponctuation.

Pierre Desproges est mort il y a juste vingt ans. France Inter lui rend hommage à travers une programmation spéciale toute la journée du 18 avril. Non sans hasard, puisque l’humoriste a longtemps sévi sur cette fréquence. Des premiers pas radiophoniques dans « Saltimbanques » de Jean-Louis Foulquier en 1978, des interventions chez Le Luron en 1980, les réquisitoires du « Tribunal des flagrants délires », entre 1980 et 1983, les « Chroniques de la haine ordinaire », en 1986.

Le matériau nécessaire pour ouvrir chaque émission habituelle de France Inter par un extrait de Desproges. Une occasion de l’écouter à nouveau, de le découvrir pour les jeunes générations à travers un pêle-mêle d’irrévérences. Où « les amis se comptent sur les doigts de la main du baron Empain » , où « un con de la radio est moins voyant qu’un con de la télé » , où les radios dites libres sont « une insulte à la liberté » . Desproges cingle le suffrage universel, La Fontaine pompant Esope, un critique de films « maintenu par son indigence, la gloire méconnue de la petite transe » , les « métastases qui se perdent » à propos de Jacques Séguéla. Qui « a su mieux que personne rehausser le vinaigre algéro-italien au rang de saint-émilion, la merde en boîte au niveau du cassoulet toulousain, et le revenant de la Quatrième au rang d’homme providentiel ».

Forcément, ces insolences prêtent à rire, jubiler. On peut s’interroger sur ce qui serait accepté, voire acceptable dans le discours de Desproges aujourd’hui. De pleines bordées de diffamations en jeu. Probablement, la censure aurait le dessus. Que resterait-il de ses formules «~antisémites~» ( « On ne m’enlèvera pas l’idée que si les Juifs étaient si nombreux à prendre le train, c’est qu’il était gratuit ! » ), sachant qu’ « on peut rire de tout, mais pas avec tout le monde » ?

En attendant une réponse qui ne viendra pas, Desproges fait recette. Son éditeur, Le Seuil, ne s’y trompe pas, resservant deux fois l’an les mêmes «~produits~» sous des couvertures et des compilations différentes. Qui pour les Chroniques , qui pour le Dictionnaire superflu , qui pour le Manuel de savoir-vivre … Il y aura bientôt le porte-clés Desproges. Pas sûr que l’intéressé, délibérément désintéressé, eût apprécié.

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