La Chine, du côté obscur

L’effet de loupe sur la répression contre les Tibétains ferait presque oublier le sort
des autres minorités, tout aussi durement réprimées, et l’absence de droits sociaux,
les exécutions capitales, les entraves à la liberté d’expression…

Éric Drouot  • 17 avril 2008 abonné·es

La crise tibétaine: des chars, des moines, des martyrs et un black-out imposé par les autorités chinoises. Un cocktail dynamite à faire descendre la France dans la rue. « Mais, au fond, que savez-vous sur notre pays, notre culture politique ? » , s’interroge Bai Shilin, étudiante pékinoise. « Il vous suffit de voir des images de militaires chinois pour aller manifester dans les rues de Paris en portant des badges Liberté ! Je trouve ça ridicule. » Et de stigmatiser sans réserve les milliers de manifestants, « ces voyous contestataires » , qui du pied de la tour Eiffel aux quais de Seine ont donné, lors du passage de la flamme olympique, « une bien triste image de la France » .

C’est donc au tour de la Chine d’être indignée ­ à sa façon ­ et de le faire savoir. Mais à Pékin, point de cortèges ni de banderoles. Le peuple se lâche sur l’Internet. « La Chine n’est pas une démocratie au sens occidental du terme , reconnaît Zheng Lin, ingénieur et blogueur. Mais à quatre mois des JO, il est un peu tard pour s’en rendre compte. Et puis, surtout, c’est nier tous les efforts politiques et sociaux qui ont été faits . »

Un dernier point qui ne convainc plus grand monde en Occident. À quelque cent jours du coup d’envoi des 29es olympiades, force est de constater que la mutation en profondeur du régime chinois attendue par certains depuis 2001 ­ année de l’attribution des Jeux à Pékin ­ n’aura pas lieu.

Le Xinjiang et ses «terroristes»

Article 4, alinéa 1er de la Constitution chinoise de 1982 : « Tout acte visant à saper l’unité nationale et à établir un séparatisme ethnique est proscrit. » Un simple alinéa qui autorise le pouvoir central à adopter une politique coup-de-poing contre toute forme de séparatisme réel ou supposé.

Les Ouighours ­ le peuple musulman du Xinjiang (le Turkestan oriental chinois) ­ sont indiscutablement les plus malmenés par cette logique ultra-sécuritaire. Problème : l’accès à certaines zones de la région est strictement contrôlé et les sources d’informations indépendantes sont inexistantes. Seule compte la voix officielle. Un an avant les Jeux, les autorités centrales avaient ainsi annoncé ­ sans qu’il soit possible de confirmer ou d’infirmer l’information ­ avoir démantelé un camp d’entraînement de « terroristes ouighours » , dans les montagnes du Pamir, au nord de la région. Dix-huit hommes avaient été tués. La semaine dernière, Pékin déclarait encore avoir arrêté un groupe de terroristes islamistes ouighours, qui prévoyait de kidnapper des athlètes, des journalistes et des touristes étrangers durant les Jeux. Là encore, impossible de mener quelque investigation complémentaire. Pour de nombreux observateurs étrangers, toutefois, cette menace terroriste orchestrée depuis le Xinjiang et qui permet à Pékin de justifier ces coups de filets au sein de la communauté ouighoure est largement exagérée.

Les campagnes sous pression

En janvier dernier, dans le Heilongjiang (nord du pays), des paysans avaient affirmé leur détermination à « se battre jusqu’à la mort pour protéger la terre de l’avidité des cadres corrompus » . Un message très vite censuré par la presse locale (les meneurs, quant à eux, ont été envoyés en camp de travail), mais qui en dit long sur l’état des campagnes chinoises. Chaque année, près de 90 000 manifestations, initiées pour la plupart par des agriculteurs en colère, accablés d’impôts, victimes d’expropriations forcées et de rackets en tout genre, éclatent aux quatre coins du pays. Aujourd’hui, 25 à 30 millions de campagnards vivent encore en dessous du seuil de pauvreté.

5000 exécutions par an?

Nul n’est aujourd’hui en mesure d’avancer avec certitude le nombre de personnes que les autorités chinoises exécutent chaque année. C’est un secret d’État, verrouillé à double tour. Le chiffre toutefois avancé par différentes ONG (dont Hands off Cain, à Bruxelles) oscille entre 5 000 et 10 000 exécutions par an ­ soit 90 % des exécutions dans le monde. À Pékin et dans le reste du pays, on tue non seulement les meurtriers ou les trafiquants de drogue, mais aussi des voleurs, y compris certains cadres accusés de corruption, les pirates informatiques ou encore les contrebandiers. Seule avancée en date : la révision des peines capitales, pour éviter les bavures, est désormais transférée à la seule cour suprême et non plus aux hautes cours provinciales.

Touche pas à mes Jeux!

Quarante-deux mois de prison… C’est la peine infligée le 18 mars à Hu Jia, 34 ans, qui avait appelé les autorités à respecter la Charte des JO ­ dans un texte publié en septembre 2007 ­ et réclamait de leur part plus d’ouverture. Il s’agit de la deuxième condamnation d’un opposant chinois en quelques semaines, après celle de Yang Chunlin, qui avait fait diffuser une lettre ouverte sous le slogan : « Nous voulons les droits de l’Homme, pas des Jeux olympiques. »

La Toile sur écoute

Ils sont au moins 50 000 à scruter jour et nuit l’Internet chinois à la recherche de voix d’insoumis. 50 000 policiers aidés dans leur mission par Yahoo!. Le groupe américain, via son portail chinois, a en effet fourni aux autorités centrales les identités de Shi Tao et Wang Xiaoning, « cyberdissidents » emprisonnés respectivement depuis 2004 et 2002.

Actuellement, une quinzaine de personnes ayant animé des forums ou des sites Internet d’opposition seraient sous les verrous.

Monde
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