Mémoire sanglante

Vingt ans après le massacre d’Ouvéa, Mehdi Lallaoui a recueilli les voix des survivants.

Jean-Claude Renard  • 30 avril 2008 abonné·es

VOILÀ QUI SENT LA CARTE POSTALE. Plage de sable fin, mer azur, cabanon en toit de chaume. Des chemises colorées qui sèchent au soleil, des travaux d’artisanat qui fleurent bon le pittoresque. À l’intérieur de ce décor en gueule d’anges, Ouvéa, aux confins du Pacifique, petite île de Nouvelle-Calédonie, s’est fait le théâtre de drames en avril et en mai 1988. Vingt ans après, Mehdi Lallaoui est parti à la rencontre des acteurs de ce drame « que la presse continue d’appeler l’affaire de la grotte d’Ouvéa », précise d’emblée le commentaire (en voix off) de Bernard Langlois. Benoît Tangopi revient d’abord sur la tombe d’un des siens, blessé au premier assaut des forces de l’ordre, achevé sur place. Tout alentour de la grotte, des tombes dressées, de petits monticules de cailloux. Sous terre, des hommes sèchement exécutés.

Retour sur l’histoire : depuis les débuts des années 1970, les revendications du peuple kanak, d’abord pour la récupération de ses terres, puis pour l’indépendance, ne trouvent que la force et le mépris du pouvoir colonial. L’accession à l’Élysée de François Mitterrand ravive les espoirs. Balle peau. Les Kanaks restent étrangers à leur propre pays. Foin de la Déclaration des droits de l’homme. Foin de l’exercice des droits légitimes d’un peuple. Ce tragique possède sa chronologie. En 1984, est créé le Front de libération kanak et socialiste (FLNKS), présidé par Jean-Marie Tjibaou. En décembre de la même année, des frères et des membres de la tribu Tjibaou sont assassinés. Les tensions augmentent. Ministre, Edgard Pisani propose un nouveau statut du ­territoire. Aux élections de septembre 1985, les indépendantistes emportent trois régions sur quatre. ­Triomphe éphémère. Mars 1986, la droite revient au pouvoir. Première cohabitation. ­Jacques Chirac nomme Bernard Pons aux DOM-TOM, lequel revient sur le statut des Kanaks. Fouilles, traques, emprisonnements.

Illustration - Mémoire sanglante


Arrestation de deux Kanaks près de Nouméa, en avril 1988. / MOYEN/AFP

En avril 1988 , quelques militants du FLNKS cherchent à occuper pacifiquement la gendarmerie de Fayaoué pour y hisser le drapeau de leurs couleurs. Dérapage et fusillade. Quatre gendarmes trouvent la mort. Les militants se scindent en deux groupes. L’un est vite arrêté, l’autre se réfugie dans une grotte sacrée avec ses otages. Branle-bas de combat. L’île d’Ouvéa est décrétée zone militaire, interdite à la presse, les communications avec l’extérieur sont interrompues. La prise d’otages improvisée dure dix jours. Et plutôt qu’une solution sans effusion de sang, Pons ordonne la force. Les Kanaks se ­rendent. Dix-neuf d’entre eux sont exécutés après leur reddition. ­D’autres sont torturés. L’armée s’en défend, parle d’hommes morts les armes à la main. Paris-Match publie des images sans équivoque. L’amnistie générale, prononcée deux mois plus tard, sonne le glas de toute justice. On achève bien les Kanaks.

Tout l’intérêt du documentaire , outre son souci pédagogique, renforcé par de rares images d’archives, est de donner la parole aux survivants de ce massacre. De rendre la voix au ­peuple kanak. Sans pathos. Juste du verbe, des témoignages. Juste des faits. Juste une réalité étouffée, longtemps. La grotte renferme toujours quelques ­théières, des paires de chaussure. Vingt ans après, il y a des plaies qui ne se referment pas. Sans haine, et dignement. Et dans l’espoir d’un droit du peuple à disposer de lui-même.

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