Rivé au poste

Mosco Boucault filme avec une grande rigueur les « affaires courantes » d’un commissariat à Roubaix.

Jean-Claude Renard  • 24 avril 2008 abonné·es

L’été 1982, Raymond Depardon posait sa caméra dans un commissariat de quartier du Ve arrondissement parisien. Le cinéaste suivait encore de petits groupes de policiers en uniforme sillonnant le quartier dans leur fourgonnette. Quelques événements tantôt anodins, tantôt tragiques mobilisaient alors les fonctionnaires de police. Un appel pour viol, une tentative de suicide, une querelle de famille, un vol de portefeuille, une jeune fille abusant de tranquillisants, des femmes tziganes prises en flagrant délit de vol, une vieille dame à moitié folle délogée puis emmenée de force aux urgences, un toxicomane, un comédien au chômage squattant une cave. Depardon ne sollicitait pas l’événement. Il regardait, enregistrait, arrachant au quotidien le plus banal des images rares. Faits divers se voulait du cinéma direct, sans fioritures.

Plus de vingt ans après, Mosco Boucault livre un pendant au film de Raymond Depardon. Un travail au long cours, entamé en 1999, et diffusé aujourd’hui seulement en raison des autorisations nécessaires, à recueillir auprès des « acteurs » du film. À l’image, ce sont six affaires qui se suivent. Un différend familial, une tentative de vol avec violence, un incendie criminel, la fugue d’une adolescente, un viol dans le métro, la mort d’une personne âgée. Autant d’enquêtes menées par un commissaire, un lieutenant et une poignée de collègues. Autant de récits qui disent la ville de Roubaix, autrefois prospère, aujourd’hui en déclin, avec ses quartiers en perdition. Un décor de cartons sales, de pintes, de folie triste, d’errances. Mosco Boucault filme le tout-venant, l’ordinaire implacable, l’âpreté de la rue, l’absence d’horizons, en même temps qu’il brosse un portrait sociologique ancré dans une réalité bien contemporaine. L’intérêt du film repose sur la durée, d’une enquête à l’autre, à travers une caméra qui s’oublie rapidement, révèle les temps de pause, les interrogations, les doutes, les moments brutaux, d’autres étirés. Mosco Boucault ne suggère pas. Il montre. La vie telle qu’elle est.

Après, c’est affaire de négociations avec le matériau, affaire de montage (par le réalisateur lui-même, avec la complicité de Jean-Luc Léon, Dominique Alisé et Luc Barnier), un montage orchestré de sorte que Roubaix commissariat central, affaires courantes apparaît comme un recueil de nouvelles. À la manière de Simenon. « Une ville, un policier, une enquête ». Où tout est vrai. Telle était l’idée de départ de Mosco Boucault, qui avait déjà réalisé d’autres films, dans cette même veine, en Afrique, aux États-Unis.
Ici, foin de spectaculaire. Aucune empathie, pas plus d’antipathie. Mais une proximité au prix d’une conscience rigoureuse, d’une honnêteté intellectuelle. *« Je n’ai pas senti de réticences de la part des policiers, explique le réalisateur. Il est vrai qu’à force de me voir tous les matins et sur des périodes assez longues, j’ai fini par devenir une présence familière. Je pouvais tout filmer. À une condition : que les gens impliqués me donnent leur accord par écrit. Je précisais ma position : celle d’un observateur. Ni d’un camp ni de l’autre. Et ceux qui m’ont donné leur accord ont pensé que, par ma présence, les choses allaient se passer, disons, “normalement”. Tel fut le cas. »
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