Un succès pour la Syrie

La tenue du 20e sommet de la Ligue arabe, à Damas les 29 et 30 mars, constitue un singulier revers pour la diplomatie américaine, qui avait tenté d’empêcher sa tenue.

Uriel Da Costa  • 3 avril 2008 abonné·es

En dépit du faible niveau de représentation de l’Arabie Saoudite, de l’Égypte, de la Jordanie et du boycott du gouvernement libanais de Fouad Sinisera, onze chefs d’État des 22 pays membres ­ dont les présidents algérien et tunisen, les émirs du Koweit, du Qatar et le Libyen Mouammar Kadhafi ­ étaient présents au sommet de la Ligue arabe, qui se tenait à Damas. Cette présence inespérée a permis à la Syrie de sortir de l’isolement diplomatique dans lequel Washington cherche à la maintenir depuis l’assassinat de Rafic Hariri, le 14 février 2005.

En appelant les pays arabes à « un regain de solidarité dans le contexte international actuel particulièrement tendu » et, surtout, à « tout mettre en oeuvre pour contrer les tentatives d’ingérence étrangères », la déclaration finale de Damas « déconstruit l’agenda américano-israélien consistant à multiplier des noyaux durs sunnites dans l’ensemble du monde arabo-islamique afin d’accentuer la confrontation sunnites/chiites visant sa retribalisation », commente un diplomate algérien. Mais c’est surtout l’appel à « la solidarité arabe » qui a mobilisé l’ensemble des délégations, dont celles des pays du Golfe face à la crainte partagée d’une intervention militaire américano-israélienne contre l’Iran, la Syrie, voire, de nouveau, le Liban. En effet, c’est bien la perspective d’une nouvelle guerre possible entre l’après-sommet et le début de l’été qui a pesé sur la grande séance à huis clos du samedi soir. À cet égard, le ministre syrien des Affaires étrangères, Walid Mouallem, a établi un lien entre l’escalade actuelle des affrontements armés en Irak, fomentés par l’occupant américain, la présence d’un groupe aéronaval de l’US-Navy au large des côtes du Liban et les derniers mouvements de l’armée israélienne le long des frontières syrienne et libanaise. « Si l’Arabie Saoudite a les moyens financiers et stratégiques de faire face à cette éventualité et ses conséquences, il n’en va pas de même des autres monarchies pétrolières, d’où leur présence massive à Damas, indiquant qu’elles n’achètent pas clef en main l’obsession iranienne de Washington, Riyad et Tel-Aviv », commente l’un des conseillers d’Amr Moussa, secrétaire de la Ligue arabe.

Mettant l’accent sur ce « danger transarabe » d’une nouvelle guerre américano-israélienne, la diplomatie syrienne a évité l’écueil libanais en renvoyant la responsabilité du blocage de la situation politique du pays du cèdre aux Libanais eux-mêmes. Un conseiller du général chrétien Michel Aoun commente *: « La chaise laissée vide par le gouvernement Siniora montre à quel point ce gouvernement, ou ce qu’il en reste, est nombriliste. En effet, les architectes de ce boycott se désintéressent-ils du devenir des Palestiniens, du sort de la population civile irakienne, au point d’ignorer à ce point les préoccupations communes à l’ensemble des pays arabes ? Ayant adhéré depuis longtemps à l’agenda américano-israélien, les responsables de ce boycott appartiendraient-ils déjà à ce monde merveilleux « sunnite modéré » que ne cesse de rêver, à voix haute, la secrétaire d’État américaine Condoleezza Rice ? »* En tout cas, Damas a obtenu un regain de soutien arabe contre les pressions et sanctions américaines exercées dans le cadre du Syria Acountability Act, au moment où le dernier rapport de la Commission internationale d’enquête des Nations unies sur l’assassinat de Rafic Hariri ne met plus en cause tel ou tel État mais « un réseau de criminels individuels ».

Autre succès de la diplomatie syrienne, et non des moindres, le retour du dossier palestinien dans le cadre de la logique de Madrid ­ basé sur le principe de « la terre contre la paix » ­ rappelant que l’application de la résolution 242 de l’ONU ­ qui stipule un retrait des territoires occupés en juin 1967 ­ concerne aussi le plateau du Golan.

Sur le dossier irakien, la résolution finale évite de prendre parti en faveur du gouvernement ou des insurgés et se contente d’appeler à l’unité de l’Irak en refusant de qualifier ­ stricto sensu ­ les troupes américaines de forces d’occupation, pour évoquer « la présence de forces étrangères » .

Avant le prochain sommet, qui aura lieu à Doha, au Qatar, la Syrie assure la présidence arabe durant un an. « Le sommet s’est bien passé et constitue un formidable contrechamp à la guerre », a estimé Mahmoud Abdel Wahab, le rédacteur en chef adjoint du quotidien égyptien Al-Ahram . Ce faisant, Damas est pleinement revenu dans le jeu moyen-oriental en cassant la dualité imposée par Washington et Israël, depuis la deuxième guerre d’Irak, d’un monde « sunnite modéré » face à l’axe du mal Iran-Syrie-Hezbollah.

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