« Une volonté de transformation sociale et écologique »

Les collectifs unitaires, le PS, la LCR, le PC… François Simon*, candidat d’une liste à gauche de la gauche toulousaine, dresse
un bilan des municipales et évoque l’avenir. Pour un débat qui ne fait que commencer.

François Simon  • 10 avril 2008 abonné·es

La fin de la période électorale n’a en rien ralenti le rythme des e-mails. L’un d’entre eux m’a rendu perplexe. Démocratie et socialisme, courant animé par Gérard Filoche, rappelait l’urgence de s’inscrire au Parti socialiste avant le 30 mars, afin d’y voter lors de son prochain congrès.

Immuabilité des positions, précipitation dans la continuité, comment comprendre cet appel de la part d’un homme, inspecteur du travail, militant sur le terrain, aux textes et positions toujours pertinents et étayés ? Comment la même personne, avant toute réflexion sur la période écoulée, nous incite-t-elle à perpétuer la dichotomie entre un PS encore espoir d’un peuple de gauche aux élections et un parti déjà inscrit dans une démarche de plus en plus proche de la cogestion avec un centre aux géométries inconsistantes ? Comment ne pas s’interroger sur l’inanité des efforts accomplis par ces camarades à l’intérieur de leur propre parti au moment où celui-ci incline de plus en plus ostensiblement vers des accords idéologiques et électoraux aux antipodes de ce que Gérard, Jean-Luc, Marc et leurs amis tentent de sauvegarder ? Les élections municipales méritent analyse et débat, avant de s’engouffrer dans les ornières habituelles.

Un piège électoral, maintenant bien rodé, est systématiquement imposé, selon la technique du double ciseau. Premier temps, premier tour : pour voter utile, voter PS. Deuxième temps, deuxième tour : pour battre la droite, voter PS.

Dès lors, peu importent les projets, les arguments, les orientations. Ces deux seuls arguments font office de campagne. Renoncer à les dénoncer, les accepter, les subir, revient à retirer tout sens aux périodes électorales. Les deux derniers numéros de Politis sont à ce titre révélateurs : satisfaction de voir la droite battue, Sarkozy défait, des villes conquises à la droite au bout de dizaines d’années, mais aussi le sentiment amer de constater toute la satisfaction du PS, son ancrage de plus en plus flagrant auprès du Modem, son refus d’accords de second tour avec des listes de gauche qui pouvaient se maintenir. Bref, un sentiment partagé d’une joie spontanée de voir une droite battue, et le malaise immédiat de constater une démocratie de gauche confisquée.

Cette dualité ne peut rester indéfiniment en l’état et il faut l’aborder, même si cela dérange les us et les coutumes. De façon encore plus impertinente, il faut savoir trancher deux questions essentielles.

Le Parti socialiste d’aujourd’hui est-il dans le giron de la famille de gauche ? Pour les électeurs, la question est tranchée. Pour nombre de militants, elle se pose. Refuser d’aller au bout de cette question dérangeante conduit dans une impasse. Charger le PS de tous les maux au premier tour pour appeler à voter pour lui au second devient une posture qui n’inquiète en rien les dirigeants du PS, qui ne voient là que leur réservoir de voix de second tour. Et, cette fois-ci, dans toutes les villes où des listes de gauche ont obtenu plus de 5 % au premier tour, les listes socialistes ont presque partout refusé tout accord. La démonstration est éloquente : discrédit des candidats de ces listes et des idées qu’elles avançaient. Seul importait le réservoir de voix du second tour. Quand le désistement républicain ne devient plus qu’un transvasement de bulletins, il y a de quoi s’interroger pour l’avenir. Cette réflexion est d’autant plus indispensable que le principe de réciprocité ne s’est pas effectué dans l’autre sens et que de nombreuses fusions avec les listes du Modem ont été effectuées.

Àcela, que répondent les autres partis situés à la gauche de l’échiquier ? Les partisans de la sécurité, voire de leur survie, passent alliance avant le premier tour, préservant des places, murmurant poliment leurs propres projets, évitant soigneusement de commenter les entorses que le PS impose à certains de leurs camarades dans d’autres villes françaises. Ils contribuent à renforcer le pouvoir local d’un parti qu’ils critiqueront dans la rue par la suite. Alibi des luttes sur le terrain et soumission sur le champ électoral !

D’autres tentent d’organiser un véritable axe à la gauche du PS. Un second piège doit être discuté, franchement, sans anathème et sans jugement péremptoire. À la gauche du PS, il n’existe pas à ce jour d’uniformité de pensée, et les analyses politiques divergent.

La Ligue communiste révolutionnaire, parti politique avec son histoire, sa structure, tente d’organiser, à partir d’elle-même, un nouveau parti qu’elle veut ouvrir à toutes et à tous. Mais, à l’usage, les fourches caudines semblent déjà installées. Les militants de la tendance Unir n’ont plus droit d’être présents à leur direction nationale. En revanche, les instances de base sont appelées à se dissoudre dans les comités d’initiative. Verrouillage par le haut, dispersion par le bas, la démarche ne rassure pas. Elle est toutefois périlleuse, des fois que la base prendrait au mot cette nouvelle tentative et ne s’en laisserait pas conter.

Et puis, il y a cette troisième composante de gauche, qui a du mal à émerger, à se faire entendre. Celle qui pense que les enjeux sociaux et politiques d’aujourd’hui nécessitent de revisiter nos fondamentaux, souvent imposés comme des axiomes immuables. N’en déplaise aux nostalgiques d’une époque à laquelle eux-mêmes ne croient plus. Il est fini le temps des certitudes d’une autre société à venir, qui donnait au Parti communiste crédit et capacité d’orienter le choix des électeurs pour changer la donne. Posture et négociation se sont diluées dans la soumission à la logique imposée du marché et aux forces dominantes de gauche qui l’ont avalisée. C’est autrement qu’il faut construire, imaginer et espérer vivre demain.

Non appuyée sur des structures politiques expérimentées, cette nouvelle composante fait preuve de fragilité, parfois de naïveté. Mais elle est sincère, novatrice, exempte de manichéisme. Les séparations idéologiques entre les différentes gauches lui semblent devoir être relues à l’aune de la société d’aujourd’hui et des enjeux à venir. Exister, imaginer, prendre des responsabilités sur ces bases avec l’ensemble des forces de gauche, y compris le PS, exiger le respect électoral par ces mêmes forces, considérer ses électeurs comme des citoyens, non pas comme des possessions, cela dérange sans doute. Mais n’est-ce pas cela la démocratie, la société que nous voulons construire ?

Cette autre gauche pose deux constats.

Le premier est la finitude de la planète, sa globalisation, son épuisement, la dilapidation de ses richesses et ses injustices galopantes, ses discriminations toujours imposées. Aucun parti politique à ce jour n’a posé le changement théorique que cela impose : redistribution des richesses localement mais aussi à l’échelle planétaire ; priorité écologique et sociale avant toute décision ; remise en cause des circuits économiques, dispendieux en énergie et source d’exploitation de plus en plus grande ; remise en cause d’une philosophie individualiste que l’on nous impose au mépris de choix solidaires.

Le second est la fin de la partition entre le combat sur le terrain, syndical, associatif, et le théorique débouché politique, dévolu aux partis. La réponse doit être une traduction pour tous les acteurs de ces luttes, savoir passer d’un champ politique à l’autre et y revenir. C’est antinomique avec ce que sont devenus les partis et, s’il en fallait une preuve, il est édifiant de voir le nombre d’élus municipaux, tout à la fois édiles, conseillers généraux, régionaux et députés, hommes et femmes sans doute sincères, mais devenus professionnels de leur nouvel employeur, leur Parti.

Lors de ces élections municipales, quatre situations méritent d’être analysées succinctement.

À Grenoble, la fin de l’ère Carignon est due au travail méticuleux de militants associatifs et écologistes. Forts de leur lutte, pour permettre la victoire de la gauche, ils se sont alors alliés avec le Parti socialiste. Quel retournement politique que de voir, en 2008, le maire PS sortant passer alliance avec le Modem et assumer sans état d’âme une triangulaire face aux Verts ! Notons que la liste des Verts a obtenu plus de 22 %, progressant entre les deux tours.

ÀMontpellier, Georges Frêche, alors maître de son langage, avait gagné la ville en passant un accord de second tour avec les Verts, qui avaient obtenu 12,5 % des voix. Cette année, fort de son score de premier tour, le PS a refusé un accord avec une liste ayant obtenu plus de 11 %. Le PS a gagné, mais avec un score inférieur de 5 % par rapport à 2001, et la liste de gauche qui s’est maintenue a gagné plus de sept points entre les deux tours, obtenant cinq élus.

À Clermont-Ferrand, la situation est encore plus surréaliste. Depuis 2001, la ville, dirigée à gauche, avait plusieurs élus de la LCR. Le docteur Laffont, capable de prendre ses distances avec son parti, la LCR, à la présidentielle ou aux législatives, obtient près de 14 % des voix aux municipales. Le PS, sûr de son fait, puisque ayant obtenu presque 50 % au premier tour, récuse toute alliance, y compris avec son ancien adjoint, avec une autre gauche ouverte. Le PS a gagné, comme Pyrrhus le fit.

Enfin, Toulouse. Trente-sept ans de droite baudisienne ou consorts. 2001, un premier assaut, un droit de second tour malgré la vague bleue, la pression de Dominique Baudis et puis l’échec. 2008, la vague rose, l’espoir de la victoire de toutes les gauches. Un PS à 39 %, avec le soutien recroquevillé dès le premier tour des Verts et du PC. À leur gauche, essentiellement deux listes, « l’Autre Liste », défendant un projet alternatif, écologique et social, démocratique et culturel, la liste « Debout », composée de la LCR, de certains Motivé-e-s et d’un collectif antilibéral. Deux positionnements différents, l’Autre Liste posant des propositions iconoclastes face à la pensée aseptisée d’une gauche bien-pensante, mais voulant un accord de second tour avec une prise de responsabilité en cas de victoire. Sans accepter pour autant tout compromis contrevenant aux valeurs qu’elle défendait. Bref, prendre ses responsabilités pour changer le quotidien des habitants dans le respect de l’autre gauche. La liste autour de la LCR ne voulait qu’un accord technique sans participation aux responsabilités. Il n’est pas là le temps de débattre de ces deux options, même si cela est essentiel pour l’avenir. Il n’empêche qu’une stratégie d’ouverture existait à Toulouse, avec l’une ou l’autre des listes, voire avec les deux. L’aberration toulousaine est le choix délibéré des responsables politiques du PS de refuser toute proposition crédible à l’une ou à l’autre de ces démarches. Gagner ou perdre seul, mais ne pas s’engager à gauche. Le nouveau paradoxe toulousain est un cas d’école qu’il faudra analyser. Ces questions essentielles ne sauront longtemps être esquivées.

Même si le constat est cruel, toutes les ébauches de reconstruction à partir de partis existants ou de franges de partis résolues à rester en leur sein, mais à changer de l’intérieur, n’ont cessé de nous fractionner depuis le « non » au TCE. Les collectifs, divers et variés, n’ont à ce jour pas su créer une nouvelle force dynamique. Les exemples européens que l’on nous assène sont tous passés par l’acceptation de deux gestes forts, en particulier Die Linke : la rupture avec une part de son propre passé et la reconnaissance factuelle d’une réelle force classée à gauche, sociale-libérale et reconnue comme telle par des électeurs en manque d’espérance alternative, force face à laquelle il faut s’opposer de façon constructive. Il est vrai que le système proportionnel allemand facilite cette position.

Ce courage politique de volonté de transformation sociale et écologique pour un autre monde nécessite de quitter les inconfortables positions minoritaires à l’intérieur de toutes les structures politiques établies. C’est l’heure de le faire ou, demain, de finir de se taire. Il est temps pour les militants des divers partis de savoir prendre leurs responsabilités et de construire une véritable « Linke », gauche alternative, ou de continuer à comptabiliser les décimales de leurs défaites ou victoires intestines. Le non-choix imposera bientôt la décence du silence. L’argument que l’on m’a souvent avancé ­ « Partir pour aller où ? » ­ n’a aucune pertinence si l’on n’a pas la volonté de tracer sa route. Le mythe de l’avant-garde doit être à ce titre revisité.

Texte provocateur mais nécessaire si nous ne voulons plus avoir à cautionner un bipartisme déjà bien installé et une pratique du double ciseau électoral. Les temps sont longs, les instants sont très courts.

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