Du pin et un toit

Sonia Kichah filme le relogement d’ouvriers tunisiens qui vivaient en bidonville depuis quarante ans.

Jean-Claude Renard  • 29 mai 2008 abonné·es

Cassis. Le joli bord de mer ensoleillé au bout des pinèdes, des brassées de thym et de romarin. Ses petites routes escarpées qui cherchent la bonne pente, dégringolent en cascade sur les plages privées. Ou ailleurs. Un ailleurs moins reluisant, sans artifice, sans paillettes. Âpre et discret, dissimulé aussi. Les Oubliés de Cassis se veut une histoire, celle d’un village sans nom. Un village muet, sans enfants, sans femmes. Épargné par le bruit, les piaillements, les jeux de mômes, les turbulences enfantines. C’est une autre carte postale, qui refuse de lyriser sur la ciboulette et la pointe d’ail. Un village d’hommes, encore jeune mais peuplé de vieux. Un lieu habité par quatre-vingt-treize Tunisiens venus il y a plus de quarante ans pour travailler. Des petits gars costauds embauchés essentiellement dans la maçonnerie. Ils ont construit les chics villas des alentours, ils ont sué pour les belles demeures d’un autre village… Cassis.

Eux, ils crèchent dans l’ancienne carrière de Fontblanche, en bordure de Cassis, en bordure de la vie. Ce sont là des baraques de fortune en tôle et bois, adossées les unes aux autres, leurs toits frisant le casse-gueule. Quelques feux sont allumés pour la tambouille, le linge sèche pépère sous les rayons chatoyants, une bassine d’eau pour toute toilette, un mobilier de hasard. Ça casse graine sur de petites tables fabrication maison. Du rustique qui tient le coup. On s’arrange comme on peut, sans rechigner.

La parole se livre au compte-gouttes dans ce remarquable film de Sonia Kichah. La réalisatrice filme le quotidien, sollicite les souvenirs, réactive doucement les mémoires retorses, réveille l’absence des femmes. Elle prend son temps sur des menus détails qui emplissent les semaines, les mois, les années. Des haricots la vie. L’eau, le feu, la terre. Les travaux des jours pour ces presque tous retraités. Après quatre décennies, engluée dans cette terre bien partagée, cette petite communauté doit être enfin (re)logée. À chacun son studio. En attendant, les hommes emménagent les uns en mobile-home, les autres dans un hôtel requis pour cause. Le départ du campement se vit dans l’interrogation, la hantise des séparations. C’est là un changement radical du mode de vie qui s’annonce.

De l’air libre à la boîte hermétique que représente le mobile-home. De la promiscuité à l’isolement. Chacun chez soi, et volets clos. De quoi avoir les foies, se montrer réticent. D’autant que ce relogement est mal perçu par les habitants du cru. Balle peau pour les soucis d’humanisme. Bienvenue en Côte d’Azur. Certains sont là depuis à peine quelques années, sûrement pas depuis quarante ans ; ça ne les empêche pas d’exprimer leur arrogance devant «des étrangers». Ça cause insécurité quand jamais une infraction ou un délit n’ont été enregistrés. Faut reconnaître qu’ils sont franchement basanés. Et puis quatre-vingt-treize, c’est trop, c’est beaucoup trop. Du racisme qui ne dit pas son nom à l’égard d’ouvriers qualifiés qui ont attendu d’être vieillards pour être logés décemment. In fine, dix-huit mois plus tard, sur les quatre-vingt-treize Tunisiens, neuf d’entre eux ont renoncé et sont repartis à Mareh, un est décédé, dix ont demandé la nationalité française. Pas sûr qu’ils l’obtiennent avant la saint-glinglin.

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