Pour une nouvelle conférence de Durban

À un an de
la prochaine conférence mondiale de l’ONU contre le racisme,
et alors que les tentatives se multiplient pour en empêcher
la tenue, Mireille
Fanon-Mendès France* plaide pour une large participation des États.

Mireille Fanon-Mendès France  • 29 mai 2008 abonné·es

En septembre~2001, à Durban, la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance avait eu lieu trois jours avant les attentats du 11~Septembre. Elle s’était achevée sur une déclaration et un plan d’action contre le racisme, obtenus à l’arraché après le retrait des délégations américaine et israélienne pour protester contre la mise en cause d’Israël.

En juin~2009, vraisemblablement une fois encore en Afrique du Sud, doit se tenir la 4e Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance. Mais la difficulté de trouver un lieu et de financer une telle rencontre donne déjà un aperçu des réticences qui existent pour de nombreux pays. Il est vrai qu’en 2001, deux sujets avaient focalisé les débats de la conférence : la question de la Palestine et celle de l’esclavage. Ainsi, la déclaration finale, approuvée par les 161 pays représentés, mentionnait la préoccupation des délégués sur «le sort du peuple palestinien vivant sous occupation étrangère» mais ne condamnait pas l’État d’Israël, à qui elle reconnaissait «le droit à la sécurité» dans la région. Les États auraient été bien inspirés de préciser que, si le droit à la sécurité existe pour Israël, il ne peut être revendiqué que si cet État respecte son obligation de cesser tout crime de droit international, tout acte de terrorisme d’État, et de se retirer de manière inconditionnelle et immédiate de tous les territoires palestiniens occupés.

L’esclavage et la traite, autre thème conflictuel de la conférence, sont qualifiés de «crime contre l’humanité», sans que la déclaration appelle à des excuses ou à des réparations financières, ce que demandaient aussi bien les groupes africains qu’afro-américains. Dans leur déclaration, les ONG, quant à elles, soulignaient que «l’esclavage, le commerce des esclaves, le colonialisme et l’occupation étrangère ont créé des injustices dont les conséquences continuent de se faire sentir jusqu’à aujourd’hui». Elles reconnaissent le droit des victimes à une réparation sous toutes ses formes.

Il serait utile de revenir sur la question de l’esclavage, de la colonisation et des réparations éventuelles. Les questions d’hier sont toujours sans réponse aujourd’hui. L’esclavage est une atteinte manifeste au droit de chacun sur sa propre personne. Qui peut réclamer réparation ? Les victimes ou leurs ayants droit, s’ils existent ? Qui doit payer ? Les agresseurs ou ceux qui détiennent les titres de propriété illégitimes ? Les individus sont-ils responsables des actes commis par les hommes de l’État ?

Autour de ces questions s’est organisée la fronde contre cette conférence que certains pays occidentaux ont tenté de délégitimer et que certaines ONG ont essayé d’instrumentaliser. Départ des États-Unis et d’Israël. Fortes pressions sur d’autres. En définitive, les questions comme les migrations, le sort des peuples indigènes ou le droit des peuples à l’autodétermination sont restées en suspens, prises en otage…

Le plan d’action décidé en 2001 prévoyait la tenue d’une conférence pour assurer le suivi. Or, l’organisation de cette 4e Conférence commence mal : les États-Unis persistent dans leur refus de participation, le Canada et Israël menacent de ne pas s’y rendre, et la France fait pression sur l’Union européenne pour qu’aucun pays de l’Union n’y participe. Du côté des ONG, certaines ne sont là que pour dénoncer l’attitude supposée «partiale» du Conseil des droits de l’homme et du Conseil de sécurité à l’égard de l’État d’Israël. Chaque intervention est bonne pour provoquer un clash qui mettrait fin au processus.

Il faut la conscience de nombreux pays du groupe africain pour déjouer les tentatives de ceux qui affirment, à l’instar de Caroline Fourest, que «l’illusion d’un consensus mondial autour de l’universalité des droits de l’homme est en passe de voler en éclats». Pour celle-ci, «l’inquiétante tournure prise par la Conférence contre le racisme organisée à Durban au début de septembre~2001 n’était qu’un symptôme. Depuis, le mal s’est considérablement aggravé[^2]» .

Mais «l’universalité des droits» a-t-elle jamais existé ? La Charte des Nations unies a tenté de surmonter ces contradictions en énonçant notamment le principe juridique du «droit des peuples à disposer d’eux-mêmes», qui coexistait avec la consécration du système de tutelle sous le chapitre XII. La Charte ne remet cependant pas radicalement en cause la domination coloniale. Le droit des peuples restait un principe sans contenu réel, mais il ne sera réalité que lorsqu’il coïncidera avec les luttes des peuples contre la domination coloniale, se concrétisant dans la souveraineté, c’est-à-dire dans l’indépendance politique de l’État. Dans le contexte de recomposition du monde imposée par les forces financières et militaires, délégitimer l’ONU est particulièrement grave. L’extension planétaire du modèle socio-économique néolibéral est concomitante à une violence structurelle : guerres d’agression contre les peuples, destruction de la protection des droits humains qui passe par la banalisation généralisée de la torture, des enlèvements, des exécutions sommaires, des assassinats et des massacres de civils ; banalisation des racismes dans les pays développés sous de nouvelles formes telles que les politiques répressives envers les migrants, l’institutionnalisation de la xénophobie d’État… et son cortège de lois liberticides, proprement racistes, comme cela est le cas dans de nombreux pays européens, avec en réaction le retour du repli identitaire ou religieux.

Devant de tels dégâts, et de telles menaces, la tenue de la 4e Conférence est essentielle. Elle doit impérativement avoir lieu, peu importe le lieu et la durée. Cette conférence doit être le signal affirmant que les dominés commencent à reconquérir leurs droits, à faire prévaloir d’autres valeurs comme la solidarité entre les peuples, la coopération, le partage des richesses, le droit au développement, etc. Cette conférence faite pour les peuples doit montrer la capacité de réaction des dominés face aux coups de force des dominants, et leur refus de voir s’instaurer la délégitimation de l’ONU, de ses instruments et mécanismes, comme le Conseil des droits de l’homme.

Le mouvement altermondialiste doit s’investir dans la préparation de cette conférence. Notamment lors des conférences régionales de préparation au Brésil en juin et au Nigeria en octobre, afin que se fasse entendre la volonté des mouvements sociaux de refuser et de combattre les nouvelles formes de racisme, l’institutionnalisation de la xénophobie et les politiques liberticides et racistes mises en place par de nombreux États.

.

[^2]: Le Monde du 24 avril 2008.

Monde
Temps de lecture : 6 minutes

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