Étrangers et malades : deux fois coupables

L’Observatoire du droit à la santé des étrangers publie un rapport dressant le bilan des dix ans de mise en œuvre du droit au séjour pour raison médicale. Un bilan qui dénonce une précarisation accrue des conditions de vie des malades étrangers et la multiplication de dysfonctionnements administratifs. Au mépris du droit à la santé.

Politis.fr  et  Mathilde Azerot  • 17 juin 2008
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Étrangers et malades : deux fois coupables

Le bilan dressé par l’Observatoire du droit à la santé des étrangers (ODSE) dans son récent rapport sur les dix ans d’application du droit au séjour pour raison médicale,### La régularisation pour raison médicale. Un bilan alarmant, est pour le moins sévère et inquiétant. La loi Chevènement du 11 mai 1998 instaurait l’attribution de plein droit d’un titre de séjour pour les étrangers sans papiers (résidant déjà en France) atteints de graves problèmes de santé et ne pouvant recevoir de soins adaptés dans leur pays d’origine. Cette disposition, qui incluait la délivrance automatique d’un titre de travail, avait été accueillie avec soulagement par les associations de défense des droits des étrangers qui militaient depuis des années en sa faveur. Une avancée, certes, mais comme le signale le rapport, « l’esprit de 1998 appartient au siècle précédent » et les années 2000 se sont soldées par une série de réformes restrictives au nom de la maîtrise de l’immigration. « Quand le vigipirate monte d’un cran, la salle d’attente est divisée par deux » , témoigne Didier Maille, responsable du service social et juridique du Comité médical pour les exilés (COMEDE) et co-rédacteur du rapport. « Aujourd’hui, une interpellation sur la voie publique signifie le placement en rétention et si les malades n’ont pas leur certificat médical sur eux, ils sont contraints d’attendre qu’une vérification soit effectuée auprès de la préfecture. »
Le rapport décrit un contexte délétère où « la “personne à protéger” , l’étranger malade vivant en France, est aussi (re)devenu dans la terminologie gouvernementale l’immigré subi. »

De manière générale, à partir de 2003, l’ODSE constate une dégradation constante dans l’application de ce droit. A commencer par la remise en cause, dans les pratiques, de la notion de « plein droit » qu’instaurait la loi de 1998. La loi prévoit la délivrance d’un titre de séjour d’un an (assorti d’un titre de travail) renouvelable selon l’évolution de l’état de santé de la personne étrangère. Une sécurité mise à mal, selon l’ODSE, qui dénonce une tendance croissante des préfectures à ne délivrer qu’une autorisation provisoire de séjour (APS). D’une durée de validité allant de un à six mois, l’APS n’ouvre pas automatiquement au droit au travail. Une situation qui place les malades étrangers dans une précarisation accrue et menace l’accès effectif aux soins et à un suivi médical de qualité. « Cette pratique est sanctionnée devant le juge administratif, poursuit Didier Maille, mais il met souvent deux ans à nous donner raison » , du fait de l’amoncellement des dossiers. « L’arme favorite des préfectures est d’oublier de délivrer un titre de séjour , ajoute-t-il. Un grand nombre de gens sans papiers ont une demande en cours. Ils sont totalement insécurisés. »

D’autre part, les médecins, régulièrement taxés de complaisance et d’irresponsabilité, voient leurs conditions de travail menacées. Légalement, la délivrance d’un titre de séjour repose sur l’avis médical du médecin inspecteur de la santé publique, ultérieurement transmis au préfet. Cet avis médical s’appuie lui-même sur un rapport médical qui, pendant des années, a pu émaner du médecin soignant. Récemment, certaines préfectures ont refusé que soient examinés les rapports médicaux qui ne seraient pas établis par des médecins agréés, ajoutant un recours supplémentaire à la procédure. Dans une pétition figurant sur le site du Comede , une centaine de médecins font part d’ « un contexte de suspicion croissante à l’égard des pratiques médicales » et en appellent au respect des principes de déontologie médicale.

L’ODSE dénonce encore les dysfonctionnements administratifs devenus monnaie courante. Outre les conditions d’accueil réservées aux étrangers au sein des préfectures qualifiées de déplorables, l’ODSE pointe la propension de certains de ces établissements à multiplier les obstacles lors du dépôt des demandes de régularisation pour raison médicale. Un certain nombre de préfectures exigeraient la présentation de pièces supplémentaires non prévues par la loi (passeport en cours de validité non obligatoire dans le cas d’une demande d’un titre de séjour pour raison médicale, certificat médical « non descriptif » …) empêchant certains étrangers de parvenir à simplement faire enregistrer leur demande de papiers.

Si l’ODSE estime à 30000 le nombre de malades étrangers aujourd’hui en France, il s’inquiète de l’absence notoire de statistiques publiques cohérentes et exhaustives. « 30000, c’est un ordre de grandeur, explique Didier Maille, ça n’est pas 500000 mais ça n’est pas 150 non plus. » Une situation floue qui permet de nourrir la thèse de certains selon laquelle le recours à la régularisation pour raison médicale serait en « augmentation exponentielle » . L’ODSE constate pourtant une diminution des demandes depuis 2004.

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