La planète corps et la planète Terre

Toujours plus de mouvement et de fascination chez Philippe Genty, qui présente « Boliloc », une valse de pantins emportée par un trio au jeu fou.

Gilles Costaz  • 26 juin 2008 abonné·es

Le théâtre de philippe genty connaît le même sort que les pantomimes de feu Marcel Marceau : il est plus apprécié et demandé à l’étranger que dans son pays. Heureusement que la maison de la culture de Nevers et de la Nièvre a pris Genty sous son aile. Sans ce soutien, il en serait réduit à jouer les chevaliers errants. Pourtant, il fait venir un public considérable avec des spectacles inclassables qui peuvent se passer de texte (mais pas toujours), mêlent acteurs et marionnettes, défient les limites des trucages et créent un surprenant monde plastique en mouvement. Cette composition esthétique n’est jamais gratuite ; elle naît d’un récit ou d’une vision, parfois obscurs, et elle est aussi une interrogation sur le monde. À quoi riment notre planète et notre vie ? C’est ce que Genty se demande à nouveau dans la réalisation qu’il signe, comme toujours, avec Mary Underwood, *Boliloc.
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En scène, il y a d’abord une série de boîtes bleues et une marionnettiste emmaillotée de rouge qui trouve des pantins dans les boîtes. Mais ces pantins lui échappent, disparaissent dans l’empilement des coffrets. Sont-ce vraiment des pantins ? Petits et pustuleux, ils rebondissent comme des créatures de caoutchouc, jusqu’à ce qu’ils changent d’échelle et s’avèrent être des humains, réels mais sautillant comme des héros de bande dessinée. D’ailleurs, ils s’emparent de la marionnettiste, la mettent sur le billard, lui coupent un bras et lui ouvrent le ventre ! Ils finissent par entrer en elle et voyager dans ses artères. Ils découvrent là d’étranges secrets, que chaque spectateur élucidera à sa façon.
Chez Philippe Genty, on peut perdre pied sans en souffrir ! Nos deux héros, qui ont perdu leurs pustules en adoptant la taille humaine, finissent par sortir du corps de la femme et se chamaillent à coups de décharges électriques en voyageant parmi les planètes. Tous trois se retrouveront dans un monde fait de vagues de couleurs et vont, du moins pour les deux hommes, se teinter de ces couleurs-là…

Boliloc ne se raconte pas ou se raconte mal. « La scène est pour moi le lieu du subconscient » , dit Genty. Oui, mais rien n’est vaporeux. Le spectateur est emporté par le jeu fou et incroyablement précis des trois interprètes, Christian Hecq, Alice Osborne et Scott Koehler. Il est séduit par des effets qui changent la forme des objets et des acteurs d’une manière inexplicable (trois techniciens sortent de l’ombre au moment des saluts !). Et, surtout, il est sensible à cette rêverie qui provoque du rire, rend joyeux mais aussi interrogatif. On peut penser au surréalisme de Magritte, mais Philippe Genty ne fait des tableaux que mobiles. Il n’a même jamais autant accéléré et exploité le mouvement. Comment diable fait-il ? Comment lui et Mary Underwood opèrent-ils leurs métamorphoses, bien mieux que les magiciens patentés ? Chez eux, les trucages n’expliquent pas tout. Et eux-mêmes ne s’expliquent pas toute la magie qu’ils donnent à voir.

Culture
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