Questions d’avenir

Le troisième Colloque international sur le commerce équitable a permis aux spécialistes de débattre des contradictions mises en évidence par la croissance du secteur, et de s’interroger sur les réponses possibles à la crise alimentaire.

Philippe Chibani-Jacquot  • 5 juin 2008 abonné·es

Dynamisantes, voire «dynamitantes», les interventions d’ouverture du 3e Colloque international sur le commerce équitable [^2] se tenaient loin du consensus promotionnel de la Quinzaine du commerce équitable(2). Tandis que Daryll Reed, économiste canadien de la York University, posait la question de «la légitimation des corps de certification du commerce équitable» , Benoît Daviron, économiste au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), a exploré «les tensions et recouvrements entre néolibéralisme et commerce équitable» .

Illustration - Questions d'avenir


Des tisserandes d’un village andin, au Pérou.
Razuri/AFP

Une présentation moins iconoclaste qu’édifiante sur les racines plus ou moins assumées d’une démarche contestant le commerce international actuel, ayant choisi l’action et non la simple revendication. «Le prix équitable est en opposition avec la vision néolibérale, pour qui la vertu centrale du marché est la libre concurrence» , a rappelé le chercheur. Mais le commerce équitable, qui dit viser l’insertion dans le marché des producteurs marginalisés, se rapproche ainsi de la définition de l’équité néolibérale» , qui se résume à lever les entraves à l’accès au marché.

Cette introduction a permis de lancer le débat entre des chercheurs «questionneurs des pratiques» et des opérateurs (membres de la Plate-forme pour le commerce équitable ou non) qui se savent pris dans les contradictions d’un mouvement en croissance et qui se diversifie (ONG, entreprises, etc.). Comment gérer le changement d’échelle ? Faut-il faire une place aux transnationales ? Quelles sont les voies de la régulation ? Quid d’un commerce équitable Nord-Nord ou Sud-Sud ? Quid d’un commerce équitable qui réduirait la place du consommateur citoyen à l’acte d’achat ? Autant de questions explorées par les 170~participants (dont trois quarts de scientifiques) venant de 25~pays.

Le dialogue n’a pas toujours été simple, les opérateurs regrettant parfois un retard des chercheurs sur l’actualité du secteur. Pour autant, Georges d’Andlau, président de la PFCE, reconnaît que «les chercheurs ont rappelé que tout n’était pas tout rose, et c’est très stimulant».

FLO International, exposé à la critique à plusieurs reprises, a joué le jeu de la contradiction en présentant l’esquisse des résultats d’un audit interne mené par l’ONG depuis 18 mois. Cet audit, intitulé «Revue stratégique», doit tirer le bilan des années passées et fixer les axes de la future stratégie. Christophe Alliot, coordinateur de cet audit chez FLO International, concède que l’ONG a «vécu une croissance subite. En sept ans [FLO] a multiplié par dix la part de marché [des produits labellisés], le nombre de producteurs et de filières.Nous n’étions pas préparés à cette croissance» . Pour autant FLO ne souhaite pas perdre sa position dominante sur la certification équitable, alors que d’autres labels durables (comme Rainforest Alliance) s’installent: «La solution n’est pas dans la dilution.»

La valeur politique du commerce équitable, trop souvent cachée derrière la quête de parts de marché dites citoyennes, a refait surface durant ces trois jours, en passant parfois par des voies inédites. Pascal Liu, économiste à la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), a rappelé qu’il «reste à convaincre les organisations internationales que le commerce équitable n’est pas une feuille de vigne sur le corps du commerce mondial» , et regretté «un déficit de communication de la part des ONG» . La PFCE, par la voix de Georges d’Andlau, a relevé cet appel du pied : «L’appui de la recherche nous semble hautement souhaitable pour aborder le sujet du commerce équitable comme un élément de réponse à la crise alimentaire des pays du Sud, a-t-il estimé lors des conclusions. Il doit permettre au producteur vivrier de bénéficier d’une vision stabilisée de son avenir à moyen terme. Une condition indispensable pour encourager les efforts de production.»

Les chercheurs sont attendus aussi sur l’analyse des motivations des consommateurs, la position des transnationales ou encore les études d’impact comme facteur de transparence. Pour Nicolas Bricas, chercheur au Cirad et organisateur du colloque, *«la crise alimentaire actuelle pousse au repli sur le local. Le commerce équitable est interpellé pour voir ce qu’il peut faire […] Cela soulève une ambiguïté sur ses différentes conceptions ou, tout du moins, sur les malentendus possibles. Soit le commerce équitable est quelque chose qui concerne le commerce et les relations internationales en cherchant à faire plus équitable, soit c’est une alternative au commerce, soit c’est la promotion de certaines formes de production. Or, l’un des grands enjeux de la crise actuelle est que de très grosses entreprises vont investir sur le vivrier et l’alimentaire, car ce sont ces secteurs qui seront porteurs demain.»
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[^2]: Organisé par le Cirad, le Picri Commerce équitable et le réseau de chercheurs Fairness du 14 au 16~mai à Montpellier.

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