À la hauteur ?

Bernard Langlois  • 17 juillet 2008 abonné·es

Lundi 14 juillet : rédaction de cet avant-dernier bloc-notes sous les flonflons, un œil sur l’impeccable défilé militaire que la France éternelle offre à une palanquée de « grands de ce monde » , comme on dit dans les gazettes bien élevées.

Parmi eux, cet échalas de président syrien, Bachar al-Assad, sorte de grand Duduche arabe occidentalisé, dont on disait, quand il a succédé à son père en 2000, qu’il n’acceptait qu’avec réticence la charge du pouvoir.
Vrai ou faux, il s’y est coulé sans anicroche, perpétuant les mœurs politiques du régime avec quelques aménagements formels, ce que de bons spécialistes appellent : « le fard du changement » . La formule figure dans un gros ouvrage collectif qui livre au lecteur une masse d’informations sur cette Syrie au présent [^2] que le président français a cru bon de réintroduire dans un jeu diplomatique dont elle était (relativement) exclue, suite à l’assassinat du Premier ministre libanais Rafic Hariri, attribué aux services spéciaux syriens. On ne lui reprochera pas cette invitation, tant il est évident qu’aucune perspective diplomatique au Proche-Orient n’est ouverte sans la participation alaouite et qu’il faut donc bien causer avec l’héritier de la dynastie.

On se posera simplement la même (bonne) question que se posait la semaine dernière (sur une photo de couverture montrant en gros plan Sarkozy et Kouchner) notre confrère L’Express : *« Sont-ils vraiment à la hauteur ? »
*

UN BILAN RIDICULE

D’évidence, la réponse est non, sur l’ensemble des grands dossiers.
Qu’il s’agisse de l’Europe (l’échec du traité de Lisbonne, que Sarkozy se vantait tant d’avoir « inventé »), de la Chine (où il se rendra, la queue basse, à la cérémonie d’ouverture des JO, qui en doutait ?), du grand projet d’Union pour la Méditerranée (qui se solde par un grand raout dispendieux ne débouchant sur rien) ; sans parler de l’alignement sur Washington (et des grandes démonstrations d’amitié avec un président américain discrédité jusqu’au croupion), de l’Afrique (où l’on a vite fait de reprendre les mauvaises habitudes du passé après avoir juré d’en changer) ou de la libération d’Ingrid Betancourt (qui doit tout à Uribe, aidé des États-Unis, et rien à la France, qui n’a fait que du bruit et des numéros de claquettes) : le bilan est ridicule.
Même si elle sait encore faire défiler ses troupes, ses fanfares, ses gros dadas, ses chars et ses avions dans un ordre sans reproche, la France de Sarkozy et de Kouchner n’impressionne plus grand monde, il faudra qu’ils s’y fassent !

OTAGES

L’autre grande vedette de ce 14 juillet d’esbroufe était donc Ingrid Betancourt, la « miraculée » de la jungle colombienne.
Passe qu’on ait fait des efforts (diplomatiques, publics ou discrets) pour obtenir la libération d’une jeune femme qui a, par son premier mariage, des attaches françaises – même s’il est bien d’autres otages dont on ne fait pas si grand cas. De là à nous en avoir rebattu les oreilles, nous l’avoir vendue comme une savonnette (avec les efforts conjugués de MM. Villepin, Fixot et Séguela) et présentée comme une bienfaitrice du peuple colombien (pour qui elle n’est qu’une grande bourgeoise politicienne et arriviste comme tant d’autres), il y a de l’abus ! La voici libre, tant mieux pour elle, on peut décrocher les portraits, la compassion bobo et la petite famille horripilante vont enfin la mettre en sourdine ; et va cesser cette dégoulinante de confiture médiatique (le pompon au tandem gonflant Paoli-Levaï sur Inter) qu’on nous inflige depuis quinze jours jusqu’à la nausée. On va pouvoir lire, sans se sentir coupable, le livre démystificateur de Jacques Thomet, un journaliste qui connaît le dessous des cartes pour avoir dirigé pendant cinq ans (1999-2004) le bureau de l’AFP à Bogota, Ingrid Betancourt, histoire de cœur ou raison d’État ? [^3], qui nous narre une aventure bien différente de la légende dorée en vigueur.

Te voici donc en prime, chère Ingrid, chevalière de la Légion d’honneur, grand bien te fasse. Tu peux rentrer exercer tes talents dans ton pays d’origine, on ne te retiendra pas, vu que tu n’as même pas été capable de demander à ton nouvel ami, le merveilleux président Sarkozy, la libération de cette autre otage (de la France, celle-ci) : Marina Petrella.

BOUQUINS

Vous, je ne sais pas. Mais moi, je n’ai jamais pu partir en vacances sans emporter une valise de bouquins. J’ai beau savoir que, la plupart du temps, je n’en lirai que deux ou trois : il me faut en avoir une bonne douzaine à portée de la main. La peur de manquer ! Comme chaque année à ces dates qui sentent bon les grands départs estivaux, je vous aide donc à faire votre valise de livres. Fastoche, je n’ai qu’à tendre la patte à travers mon bureau, vers les meubles autour et jusque sur le vieux fauteuil de cuir râpé : plus de deux cents ouvrages de parution récente attendent sagement qu’on veuille bien s’intéresser à eux. Il m’arrive de les soupeser, de les humer, de les ouvrir, de les feuilleter ; pour certains même, de les lire de bout en bout. Je vous en ai présenté quelques-uns au cours de l’année, au gré de mes humeurs, ou en fonction de l’actualité. En voici d’autres, qui n’ont pas encore franchi le seuil de ce bloc-notes (et ce ne sont pas forcément les plus mauvais !), que je vous jette en vrac sous les yeux, avec un semblant de classement pour que vous y reconnaissiez vos petits.
En sachant qu’on n’éclusera encore qu’une petite partie du stock. Pardon aux oubliés, aux délaissés, aux rebutés, à l’impossible nul n’est tenu !

– La politique par ceux qui la font (il faut bien commencer par quelque chose) : voici quelques livres écrits, parfois avec l’aide d’un nègre ou sous forme d’entretien, en tout cas signés par ceux dont la politique est le métier, généralement des élus.
Honneur au doyen : Edgard Pisani, 90 ans aux prunes et encore bien vert, crie Vive la révolte ! (Seuil, 17 euros). Le livre date un peu, d’avant le sarkozysme triomphant, mais l’exceptionnel parcours de ce grand bonhomme et les réflexions qu’il lui inspire n’en restent pas moins bien intéressants. Pas sans intérêt non plus, les mémoires de son cadet de quatre ans, Roland Dumas : le premier tome de ses Affaires étrangères (Fayard, 24 euros) porte sur la période 1981-1988, un deuxième est attendu, couvrant le deuxième septennat de François Mitterrand, auquel cet avocat mondain était tout dévoué. Pas comme Georges Frêche, qui le combattait, le tenant pour un faux homme de gauche et qui n’hésite pas à émettre des doutes sur des épisodes obscurs de son règne, comme le suicide de Grossouvre ou l’assassinat, survenu « au bon moment » (juste avant son procès), de l’ami Bousquet… C’est dans Il faut saborder le PS (Seuil, 18 euros), un livre de « conversations » avec le confrère Alain Rollat (mieux qu’un faire-valoir) qui ont la vigueur, et parfois la brutalité, bien connues, du prince de Septimanie, septuagénaire ex-maoïste devenu social-libéral sans cesser d’être un disciple de Machiavel ; ça déménage ! Il n’est pas le seul à vouloir changer le PS de l’intérieur, Huchon aussi, qui « converse », lui, avec Denis Jeambar, et prône l’alliance avec Bayrou dans De battre, ma gauche s’est arrêtée (Seuil, 17 euros) : douteux que ce soit avec lui et son nouveau maître à penser, Strauss-Kahn, qu’elle se remette en marche, qu’elle sorte, comme dit Jospin, de l’Impasse (Flammarion, 12 euros) où elle s’est enfermée. On préférera les approches, analyses et préconisations d’un autre militant socialiste, de moindre rang, qui porte bien son nom, Jacques Généreux, auteur d’un maître-livre, la Dissociété (Seuil, 22 euros), sur ce qu’il appelle « une maladie sociale dégénérative » , maladie qui dresse les individus les uns contre les autres, dont il rend responsable d’abord bien sûr la nouvelle droite sarkozyste ( Pourquoi la droite est dangereuse , Seuil, 11 euros), mais sans exonérer sa famille politique lancée dans une « pêche aux voix de droite » qui consiste à « singer » les positions de l’adversaire qu’elle prétend combattre.
– La politique par ceux qui la commentent (ce qui est aussi façon d’en faire) : on commencera par Pour une gauche de gauche (Croquant, 20 euros), qui propose, sous les plumes d’une vingtaine d’universitaires, un balayage assez complet de treize ans d’histoire (1995-2008), de prometteuses mobilisations (la grande grève de 1995) jusqu’au gâchis de la dernière présidentielle (quatre candidats !), en passant par la victoire du « non » au référendum sur le TCE de 2005. Peut-on encore y croire ? C’est le Grand Renoncement de la gauche (du PS essentiellement) à réformer les institutions de la Ve République (ce Coup d’État permanent que fustigeait Mitterrand, avant de le pratiquer à son tour) que dénonce le politologue Paul Alliès, qui a cent fois raison (Textuel, 20 euros). Michel Clouscard, universitaire marxiste rigoureux, faisait paraître dès 1973 son Néo-fascisme et idéologie du désir , aujourd’hui réédité (Delga, 9 euros), où il postule que « Mai 68 témoigne de la plus remarquable manipulation idéologique de l’après-guerre, celle qui assura le passage de la Vieille France à la Nouvelle France du libéralisme sauvage ». Pas faux, si on réduit Mai 68 à quelques slogans libertaires, quelques fils et filles de bourgeois en goguette et qu’on oublie le formidable mouvement social que ce joli mois a déclenché ! En communion avec lui, l’éditeur et préfacier du précédent, Aymeric Monville, nous crédite d’un Misère du nietzschéisme de gauche , de Georges Bataille à Michel Onfray (Aden, 8 euros), où il dénonce l’engouement actuel pour l’auteur de Zarathoustra : « Ce recyclage philosophique a un but, détruire au sein de la gauche le matérialisme des Lumières et in fine l’ensemble de la philosophie issue du marxisme et du mouvement ouvrier. » Percutant !

– Enfin, pour cette fois (et elle ne fait pas métier de la politique, sous quelque forme que ce soit), de cette romancière reconnue, Pierrette Fleutiaux, la Saison de mon contentement [^4], un récit très personnel, intime, sensible, qui dit comment une femme, le cœur à gauche sans être une militante, s’est soudain sentie concernée, interpellée, « contentée » par la candidature d’une autre femme à la présidentielle de 2007. À partir de là, longues digressions intelligentes sur sa vie, son enfance, la condition féminine, etc., le tout superbement écrit.
Tiens, si vous ne deviez en lire qu’un : le Fleutiaux ! (À suivre).

[^2]: La Syrie au présent, Reflets d’une société, sous la direction de Baudouin Dupret, Zouhair Ghazzal, Youssef Courbage et Mohammed Al-Dbiyat, Sindbad Actes Sud, 880 p., 30 euros.

[^3]: Ingrid Betancourt, histoire de cœur ou raison d’État ?, Jacques Thomet, Hugo doc, 240 p., 17 euros.

[^4]: La Saison de mon contentement, Pierrette Fleutiaux, Actes Sud, 406 p., 21,80 euros.

Edito Bernard Langlois
Temps de lecture : 10 minutes