Al-Qaïda, Staline et la neurasthénie

Nous avons sélectionné six spectacles enthousiasmants à l’affiche du festival « off ». Des classiques, comme « les Justes » de Camus ou des textes de Calaferte, mais aussi des créations contemporaines.

Gilles Costaz  • 17 juillet 2008 abonné·es

Product

Auteur d’un Shopping and Fucking assez shocking, Mark Ranvenhill est l’un des écrivains les plus cogneurs de la scène anglaise. Sa pièce Product atteint la virulence qu’ont certaines œuvres de l’Américain David Mamet. Elle met face à face un scénariste-producteur et une star. Le producteur conte à la star le scénario dont il aimerait lui confier le rôle principal, une histoire d’actrice qui tombe amoureuse d’un Arabe, lequel pourrait être affilié à Al-Qaïda. Fou de son script, il le détaille en brassant les événements, cherchant le succès à tout prix, vivant dans un mode irréel et raciste et, en fait, taraudé par l’échec. Cette petite heure est électrique. Sylvain Creuzevault a mis la pièce en scène dans une tension extrême et a lancé Christian Benedetti dans un jeu physique et une course mentale faite de hauts et de bas, de chocs et de répits. Sa partenaire, Muranyi Kovacs, interprète en silence le mépris (ou un calcul complexe d’intérêts, on ne sait tout à fait) des stars. Un grand moment d’une seule coulée.

Petit Louvre, 12 h 25.

Histoire du communisme racontée aux malades mentaux

Le Roumain Matei Visniec règle les comptes de son pays, de ses proches et de sa culture avec l’époque soviétique. Cette Histoire du communisme se passe à Moscou, au temps du stalinisme. Comment soigne-t-on les patients de la psychiatrie ? Avec les préceptes de Staline et en leur envoyant un jeune écrivain officiel, chargé de rencontrer les malades et de faire un rapport. L’une des excellentes idées du metteur en scène Victor Quezada-Perez est d’avoir fait ce qu’il appelle une « mise en clown » . Les malades mentaux sont donc des clowns, nullement ridicules, nullement drôles au sens habituel du terme, mais tantôt émouvants, tantôt inquiétants. Et le spectacle a du rythme, du punch, de l’invention, porte dans une énergie incessante sa révolte féroce, autour d’excellents acteurs comme Thibault Pinson et Amandine Barbotte.

Collège de La Salle, 20 h 15.

Hypocondriac Ier, roi de Neurasthénie

Prendre le risque du théâtre musical dans le off est une vraie audace. Avec Hypocondriac Ier , dont le texte est de Jean-Marie Lecoq et la musique de Louis Dunoyer de Segonzac, Gérard Audax le bien nommé rend ses droits et sa force au genre de l’opéra-bouffe, à travers cette fable souriante où un roi grognon et sa fille boulimique cesseront de faire régner leur désespoir méchant sur leur pauvre peuple. C’est finement écrit, mis sur des mélodies entraînantes, joué par des acteurs qui savent chanter : Audax (le roi saisi par l’hypocondrie), Estelle Micheau, Guy Vivès, Julien Clément et Alexandre Lévy. Le spectacle distille cette fantaisie qui fustige dans la légèreté et qui manque tant à ce festival !

Petit Chien, 19 h 05.

Les Justes

Diastème, auteur et cinéaste qui parle si bien avec une tendresse déchirée des amours adolescentes, met en scène Camus. C’est une surprise, et le résultat est un peu sage, comme si le meneur de jeu était paralysé de respect. Mais la pièce, où un révolutionnaire commet un attentat et se trouve ensuite confronté aux manipulations du pouvoir, se déroule sans faux-fuyants, dans un climat limpide et grave. Avec un très bel acteur, Frédéric Andrau, dans le rôle principal, et d’excellents partenaires comme Jeanne Rosa, Renaud Le Bas, Julien Honoré et Mathieu Morelle.

Chêne noir, 20 h.

Shitz

Hanokh Levin, mort il y a quelques années, a critiqué sans cesse la politique militariste et la société machiste de son pays, Israël. Shitz est une de ses pièces qui a la main lourde pour nous raconter les pitoyables aventures de jeunes mariés cupides tentant de s’emparer de l’affaire familiale. La satire prend plus de poids quand l’entreprise familiale est impliquée dans la guerre, car l’œuvre devient alors politique. Christine Berg fait efficacement se superposer une action théâtrale et une action musicale. Gisèle Torterolo, Mélanie Faye, Laurent Nouzille, Elenora Lliora Abascal et Vincent Parrot trouvent le juste jeu en se montrant affreux, bêtes et séduisants.

Caserne des pompiers, 21 h 30.
Théâtre complet de Levin aux éditions Théâtrales.

Tu as bien fait de venir, Paul

On revient à Louis Calaferte, dont Alain Timar monte aux Halles un ensemble de textes, Je veux qu’on me parle. De son côté, Didier Moine met en scène une pièce de l’auteur, Tu as bien fait de venir, Paul. Ici, pas les sarcasmes de Calaferte, mais sa tendresse. Un père rend visite à son fils : ils ne se comprenaient pas, ils vont se comprendre. Les deux comédiens, Yvan Chevalier et Julien Leonelli, menés par Didier Moine vers des éclats souterrains, sont d’une sobriété bouleversante.

Au Magasin, 15 h.

Culture
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