Géographie politique et culturelle du Liban

Les chercheurs de l’Institut français du Proche-Orient livrent une étude originale dans le premier numéro des « Cahiers de l’Ifpo ».

Denis Sieffert  • 10 juillet 2008 abonné·es

Tous ceux qui veulent vraiment comprendre « l’Orient compliqué » (compliqué surtout quand on cède à notre péché mignon post-colonial : l’ethnocentrisme) se réjouiront de la parution de ce premier numéro des Cahiers de l’Ifpo . L’Institut français du Proche-Orient, basé à Beyrouth, Damas et Amman, réunit quelques-uns des meilleurs chercheurs français ou francophones sur la région, fort éloignés des intellectuels médiatiques que l’on nous impose généralement pour diffuser les préjugés dérivés de la théorie du choc de la civilisation.

Ce premier numéro, préparé sous la direction de Franck Mermier, directeur scientifique à l’Ifpo, en poste à Beyrouth, traite de la question communautaire au Liban, sous l’angle original du partage des espaces publics. Les textes sont, pour la plupart, tirés, d’une table ronde organisée à Beyrouth en novembre 2005, enrichis d’analyses récentes. Dans un propos liminaire, Franck Mermier note que la fin de la guerre civile (1975-1990) a certes abouti au « démantèlement des lignes de démarcation » , mais n’a pas pour autant coïncidé avec « la neutralisation » des « territoires politiques », pas davantage qu’avec la fin d’une « culture de l’enclave » chère à certaines communautés. Les repères géographiques et toponymiques permettent de conclure que le consensus national né de l’accord de Taëf – qui a marqué la fin de la guerre civile – n’a pas permis de dépasser les partages communautaires.

L’intérêt et l’originalité de cette étude résultent de son caractère concret. Les auteurs évoquent la vie quotidienne dans Beyrouth ou Tripoli, les méandres des chauffeurs de taxi tracés en fonction de leur propre appartenance communautaire. Pourtant, il serait erroné de penser qu’il n’existe pas de nationalisme libanais. Sa singularité, nous dit Franck Mermier, réside en ceci qu’il s’agit d’un « nationalisme hétérogène […] porté par des forces antagonistes et un État faible ».
Il existe aussi, dans ce Liban toujours morcelé, des « espaces partagés », même si, comme le note Dima de Clerck, « proximité ne veut pas dire mixité ». C’est le cas notamment de la Montagne que cette universitaire écrit avec un « M » majuscule pour désigner l’entité géographique du Mont-Liban, où cohabitent druzes et chrétiens. Enfin, les auteurs évoquent les « pratiques de rencontre » , d’autant plus codifiées et ritualisées que les communautés sont séparées. Ce premier numéro mêle avec bonheur les études et les témoignages, ce qui en fait un instrument de compréhension sans concession, en même temps qu’un document accessible.

À noter aussi la publication par l’Ifpo, début 2008, d’Itinéraires esthétiques et scènes culturelles au Proche-Orient, sous la direction de Nicolas Puig et Franck Mermier, 278 p., 20 euros. Une remarquable étude des productions culturelles au Liban et en Syrie, depuis le théâtre chiite jusqu’au rap dans les camps palestiniens.ꆱ

Idées
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