Les succès parisiens de Bachar al-Assad

Le Président syrien, dont la venue en France a dominé le lancement de l’Union pour la Méditerranée, a rompu un isolement qui durait depuis l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri, en février 2005.

Uriel Da Costa  • 17 juillet 2008 abonné·es
Les succès parisiens de Bachar al-Assad

Tapis rouge et festival médiatique à Paris pour un président syrien qui n’avait jamais autant « communiqué ». La venue de Bachar al-Assad a indéniablement dominé le lancement de l’Union pour la Méditerranée (UPM), dimanche au Grand Palais. La veille, à l’issue d’une séance de travail bilatéral France/Syrie, le texte final avait déjà mis en évidence l’adoption d’un plan « pour assurer la relance des relations bilatérales, avec comme objectif commun de renforcer les liens politiques, économiques et culturels entre les deux pays ».
Ce texte a été largement commenté lors d’une conférence de presse commune à l’Élysée réunissant, outre les deux présidents syrien et français, l’émir du Qatar, Ahmad Ben Khalifa Al-Thani, et Michel Sleimane, le président du Liban. Bachar al-Assad s’est félicité de la tenue de ce « Quartet ». Et tout le monde a compris que le président syrien a voulu clairement faire un parallèle entre ce sommet parisien exceptionnel et le Quartet diplomatique – États-Unis, Russie, Union européenne, Nations unies – en charge de la relance du processus de paix au Proche-Orient. Dans l’esprit de cette comparaison, le noyau dur du communiqué final précise que *« le président syrien a souhaité que la France, avec les États-Unis, puisse apporter toute sa contribution à un futur accord de paix entre Israël et la Syrie, dans la phase de négociation directe comme dans la mise en œuvre de l’accord, y compris pour les arrangements de sécurité qui pourraient être nécessaires. Le président français a marqué la disponibilité de la France à répondre à toute demande en ce sens, si les parties y trouvaient intérêt ».

  • Illustration - Les succès parisiens de Bachar al-Assad

    Nicolas Sarkozy accueille Bachar al-Assad, l’émir Ahmad Ben Khalifa Al-Thani et Michel Sleimane à l’Élysée. FEFERBERG/AFP

En mai dernier, la Syrie avait indiqué qu’elle menait des pourparlers « indirects » avec Israël par l’intermédiaire de la Turquie. Depuis, Bachar al-Assad a répété à plusieurs reprises que l’installation de l’UPM « n’était pas le bon moment pour lancer » la phase de négociations « directes » , qui viendraient en « leur temps » . En effet, rappelant qu’il n’y avait rien à attendre d’une administration sortante « guerrière », le ­président syrien a, d’ores et déjà, donné rendez-vous à la nouvelle équipe américaine, laissant également du temps au temps pour permettre l’émergence d’un leadership politique stable en Israël. En attendant, il confirme la perspective ouverte lors du dernier sommet de la Ligue arabe, qui s’est tenu à Damas les 29 et 30 mars derniers. Sommet que nous avions qualifié ( Politis du 3 avril) – à contre-courant de la quasi-totalité des médias – de *« succès syrien ».
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En effet, en dépit du faible niveau de représentation de l’Arabie Saoudite, de l’Égypte et de la Jordanie, et du boycott de l’ex-gouvernement libanais de Fouad Siniora, 11 chefs d’État des 22 pays membres – dont les présidents algérien et tunisien, les émirs du Koweït, du Qatar et le Libyen Mouammar Kadhafi – étaient présents. Cette participation inespérée, alliée au savoir-faire diplomatique du ministre des Affaires étrangères, Wallid Mouallem, avait permis à la Syrie de commencer à briser un isolement diplomatique hermétique depuis l’assassinat de l’ex-Premier ministre libanais Rafic Hariri, le 14 février 2005, et à réchauffer une relation syro-française gelée depuis novembre 2003, date de la mise en chantier de la fameuse résolution 1559, qui consomma la rupture entre Damas et Paris dès la fin juillet 2004.
Afin de consolider ce grand retour international, Bachar al-Assad ne fait pas que réactiver la recette de son père, Hafez, celle d’une Syrie indispensable à la paix comme à la gestion des tensions, sinon des crises. Il poursuit méthodiquement l’établissement d’un système de médiations bilatérales régionales. Après le Qatar, qui assurera la présidence de la Ligue arabe l’année prochaine, et la Turquie – médiatrice de la phase « indirecte » –, le jeune président syrien entend associer la France à un futur « parrainage » de négociations « directes » avec Israël. Au-delà de la libération du plateau du Golan, cette phase pourrait prendre une dimension plus large ramenant à l’épicentre du conflit israélo-palestinien, et peut-être au plan de règlement global du prince saoudien Abdallah, présenté lors du sommet arabe de Beyrouth en octobre 2002.

Aujourd’hui, plusieurs chancelleries ­arabes se demandent ce que veut réellement Nicolas Sarkozy. Elles cherchent aussi à savoir s’il y a bien une vision construite derrière les photos, la communication ayant présidé au lancement de l’UPM, et les cérémonies du 14 Juillet fêtées en présence d’une quarantaine de chefs d’État. Malgré son soutien affiché à Tel-Aviv et des signes d’alignement sur les grandes options stratégiques de Washington, « Nicolas Sarkozy ne partage pas forcément l’obsession américaine voulant à tout prix distendre, sinon casser le partenariat stratégique et politique existant entre Damas et Téhéran », explique un diplomate européen. « S’il se dit – comme Tel-Aviv et Washington – préoccupé par l’acquisition de l’arme atomique par Téhéran, le président français veut clairement remettre la France dans le jeu proche-oriental, dont elle avait été écartée à travers les processus de Madrid et d’Oslo » , ajoute le même diplomate, en concluant que « s’il est trop tôt pour parler d’une nouvelle diplomatie française au Proche-Orient, il est absolument indéniable que l’actuel rétablissement de la relation franco-syrienne permet de faire bouger les lignes et de revenir à une certaine idée de la France ».

En attendant de voir si ce sursaut gaulliste de Nicolas Sarkozy se confirme, dans les coulisses de l’UMP, d’autres diplomates expliquent que ce « rétablissement Paris/Damas » doit non seulement se consolider à travers l’annonce syrienne de l’installation d’une ambassade à Beyrouth, mais aussi sur un certain nombre de dossiers concrets comme le renforcement de la coopération en matière de contre-terrorisme – qui s’était poursuivie en dépit du gel bilatéral –, l’ouverture économique et les réformes politiques.
Mais, lorsque Nicolas Sarkozy invite son homologue syrien à « se montrer à la hauteur de la tâche » , il sait parfaitement que certaines déclinaisons de sa demande relèvent de données géopolitiques intangibles sur lesquelles la France et a fortiori l’Europe n’ont que peu de prise. En revanche, en cherchant à concrétiser une ligne de partage acceptable entre les intérêts de la France et ceux de la Syrie au Liban, le président français aura certainement réussi à initier un double processus : favoriser la mise en application des accords de Doha ayant permis l’élection d’un président libanais puis la préparation d’élections législatives en 2009 ; assurer enfin que Damas ne se retrouve pas seul face à la future administration américaine comme s’il s’agissait de donner chair et durée à la photo du nouveau Quartet : France, Qatar, Liban, Syrie.

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