Nouvelles du monde

À Perpignan, la vingtième édition du festival « Visa pour l’image » a rendu compte d’un photojournalisme qui cherche toujours à témoigner, informer, qui s’inscrit contre l’oubli, en sismographe des jours mauvais.

Jean-Claude Renard  • 4 septembre 2008 abonné·es

Le Népal, une terre derrière le diable Vauvert. Il y a quelques années, Philip Blenkinsop et Tomas van Houtryve avaient rapporté des images de ce bout du monde, en transe sismique après le massacre de la famille aristocratique au pouvoir, organisé probablement par un héritier, suivi de manifestations, de troubles vite réprimés à coup de matraques. Les émeutes avaient valu une poignée d’échos, en images, plus ou moins maigres. Sans s’attarder.
Au premier semestre 2008, Noël Quidu s’est lui aussi rendu au Népal. Le temps nécessaire pour assister à la victoire du Parti communiste maoïste népalais au sein de l’Assemblée constituante, le 10 avril, avant l’élection, le 15 août dernier, du Premier ministre Prachanda, ex-chef de l’armée de Libération populaire, hier recherché par les autorités, aujourd’hui protégé par l’armée. Cette révolution, soutenue par une population miséreuse et affamée, qui a vu la fin d’un règne monarchique long de deux cent quarante ans, n’augure rien de bon cependant, avec ses réminiscences de la Longue Marche. En attendant, les manifestations tibétaines sont réprimées à Katmandou aussi bien qu’à Pékin.
Cette incertitude, traduite en couleurs et encadrée, se veut au diapason des reportages de cette vingtième édition du festival international de photojournalisme, « Visa pour l’image ». Avec d’autres sujets, d’autres réalités, passés à la moulinette des médias, inaperçus, mais qui restent essentiels, disent le monde tel qu’il se crève. De fait, le festival livre l’état de santé du photojournalisme. Sachant que rares sont les journaux qui peuvent s’enorgueillir de publier des reportages complets. Or, n’est publié que ce qui est spectaculaire.

Le photojournalisme s’inscrit précisément dans une autre histoire, celle de rendre compte, de témoigner, de culbuter l’oubli. De l’indispensable quand l’opinion est surinformée, gavée par une information qui se consomme. « Visa pour l’image », c’est précisément ce qui s’imprime rarement, et ne s’affiche pas en galerie. Dans un genre qui, ces dernières années, exprime un certain refus de l’esthétisme et de l’affectif, éloigné de « l’humanisme » de l’après-guerre. Ce qui n’empêche pas de « construire » un sujet, pour donner à voir, à comprendre. Avec une certaine verve. Articulé autour d’une trentaine d’expositions, le festival propose ainsi différents regards sur le monde (et quelques colloques). En plusieurs lieux
[^2], parties intégrantes du patrimoine de la cité catalane, avec une constante : la gratuité. C’est aussi cela, Visa. Un photojournalisme qui donne à voir. À voir le monde pour tout le monde [^3].

À Perpignan, cette année, la volonté de refuser l’oubli s’est manifestée à travers rétrospectives, flash-backs et hommages. De quoi peser dans l’intemporel. Ainsi le travail de David Douglas Duncan, puisé dans son ouvrage This is War, quand le photographe était un marine parmi d’autres au cours de la Seconde Guerre mondiale, virant des îles du Pacifique Sud à l’entrée de la baie de Tokyo. Toute une confrontation avec la mort, en noir et blanc, où le noir finit par l’emporter, sans effusion. Horst Faas a lui aussi flirté avec le vent de la mort. En exercice entre 1951 et 2004, toujours fidèle à l’agence Associated Press, il couvre les émeutes au Congo en 1960, fixe soldats et civils à Oran en 1962, avant de « s’installer » au Vietnam de 1962 à 1973, dans le ballet des bombes et les pluies de défoliant. Voilà des images du passé, qui renvoient directement au présent, à l’actualité courtisant un éphémère toujours renouvelé. Une actualité dominée par les conflits.
Yuri Kozyrev a posé son objectif en Irak, avec son lot d’attentats, d’explosions, sa banalité de la mort, dégageant ses impressions d’enlisement, tandis que Paula Bronstein s’est calée dans les soubresauts de l’Afghanistan. Elle livre la tranche de vie d’un pays ravagé par la guerre, de 2001 à aujourd’hui, un pays arrosé d’une lumière fantasmagorique. En images, se succèdent la distribution de riz et de sucre par une ONG locale, la promenade des ânes dans un camp de réfugiés, la cheminée d’une briqueterie crachant ses fumées noires, la préparation d’un mariage, un môme avec son poulet apprivoisé, des squatteurs dans un immeuble délabré, des femmes voilées, pansées, immolées par le feu, des mômes encore, la silhouette de burqas au pied d’un palais en ruines. Soit une féerie aux confins du désastre.
Un reportage prolongé par celui de Stanley Greene, étiré le long de l’historique route de la soie. Telles les caravanes de chameaux transportant épices et tissus, des véhicules rouillés hérités de l’ère soviétique empruntent maintenant les mêmes routes, chargés d’opium. 750 kilomètres d’asphalte sont devenus une autoroute de la drogue, charriant en même temps HIV et hépatite C, de Kaboul à la vallée du Panjshir.

Dans la somme des tragédies, l’Afrique possède ses chapitres. Enrico Dagnino rend compte ainsi de la violence des affrontements au Kenya, en janvier 2008. Les incendies, les lynchages, le vandalisme, les combats de rue entre Luos et Kikuyus au lendemain de la présidentielle. Jouant des vieilles rancœurs ethniques pour gagner leurs voix, les politiciens ont conforté leur enrichissement, tandis que les tour-opérateurs reviennent maintenant, contournant les taudis ébranlés. Foin de tourisme au Congo, mais un pays exsangue, miné par une décennie de conflits armés, comme le rappelle Cédric Gerbehaye. Aujourd’hui encore, la population souffre des violences meurtrières, des maladies, de malnutrition. Le nombre de déplacés serait de 800 000, groupes armés et militaires exploitant les ressources naturelles, engrangeant les profits pour alimenter les conflits. Un chaos fixé en noir et blanc : l’attente de distribution de farine, des réfugiés hagards dans un couvent, la mine débonnaire de Laurent Nkunda, chef d’une faction rebelle, un enfant soldat arrêté en brousse, le déploiement de camps de déplacés fuyant les combats, le désarroi d’une jeune femme victime de violences sexuelles. Sur un même continent en souffrance, Jan Grarup donne à voir et à comprendre le Darfour, en petites touches âpres : les camps, les réfugiés, les cours d’eau asséchés, la prière devant un hôpital, un dispensaire dérisoire, une vieille ferme muée en bloc opératoire, des mômes décharnés, l’attente des aides alimentaires. En somme, une population maintenue sous le joug d’une crise constante, afin de pérenniser pour une minorité les bénéfices du pétrole.
De Paula Bronstein à Stanley Greene, de Cédric Gerbehaye à Jan Grarup, ce sont autant de témoignages, d’informations qui font la valeur du photojournalisme. Qui font récit, sans retouches.

[^2]: Le Castillet, le couvent Sainte-Claire, le palais des Corts, le couvent des Minimes, l’église des Dominicains, la caserne Gallieni, l’Ancienne Université, la chapelle du Tiers-Ordre, l’arsenal des Carmes, la Poudrière.

[^3]: Loin donc des « Rencontres photographiques d’Arles », étirées entre le 7 juillet et le 14 septembre, et dont le prix d’entrée de chaque exposition oscille entre 5 et 11 euros, pour des lieux exposant une poignée de photographies (parfois piètres).

Culture
Temps de lecture : 6 minutes