Pierre Daix, entre aveuglement et lucidité

Pierre Daix revient sur son engagement communiste dans
la Résistance. Mais, devenu farouchement anticommuniste,
il se laisse aller à de fâcheux règlements de comptes.

Olivier Doubre  • 18 septembre 2008 abonné·es

Paru en 2005, Bréviaire pour Mauthausen est sans doute l’un des textes les plus émouvants sur la vie quotidienne dans un camp de concentration nazi. Pierre Daix, étudiant communiste déporté pour faits de résistance, eut en effet une vue d’ensemble de son fonctionnement puisque, grâce à l’organisation communiste clandestine du camp, il intégra, après plusieurs semaines de travail épuisant, les bureaux du camp et, à ce poste, put circuler à peu près partout. Voyage dans l’horreur, ce petit livre décrivait en détail la mécanique exterminatrice du système concentrationnaire nazi et les solidarités mises en œuvre par les détenus pour survivre.
Né en 1922, membre dès la fin de l’année 1939 de l’organisation des Étudiants communistes (interdite), Pierre Daix revient aujourd’hui sur sa Résistance, quand, jeune militant à la Sorbonne, il participe aux premières actions s’opposant à la mise au pas de l’Université par les nazis, « qui avaient tout de suite voulu souligner leur domination sur le Quartier latin en organisant, à grand tapage, des conférences de sommités collaborationnistes à la Sorbonne ».
Mais l’objet principal de ce récit, qui occupe la première partie de l’ouvrage, consiste à (re)mettre en lumière le rôle de ses camarades étudiants, notamment celui de Claude Lalet, le « responsable » des Étudiants et lycéens communistes. Son action avait en effet été gommée au profit d’un autre « héros » des Jeunesses du PCF, Guy Môquet, glorifié récemment par Nicolas Sarkozy. Fils d’un député communiste de Paris, arrêté au métro Gare-de-l’Est lors d’une distribution de tracts, Guy Môquet avait déjà été célébré durant la guerre : Jacques Duclos décida d’en faire « un symbole » en transmettant à Aragon « les éléments qui lui permirent d’écrire “le Témoin des martyrs”, un texte vibrant rendant hommage aux martyrs de Châteaubriant » . Son engagement n’eut cependant pas une portée politique de premier plan, à la différence de Claude Lalet, qui organisa la toute première mobilisation des étudiants, le 8 novembre 1940, devant le Collège de France, pour protester contre le renvoi des professeurs juifs des universités et l’arrestation de Paul Langevin, antifasciste et physicien de réputation mondiale.

Si Pierre Daix tient à rendre hommage à Lalet, c’est que son engagement, encore aujourd’hui effacé par le PCF, eut lieu au moment (et en dépit) des négociations secrètes entre la direction du parti et Otto Abetz, représentant d’Hitler à Paris, pour tenter d’obtenir des Allemands la reparution de l’Humanité en cette période de pacte germano-soviétique…
On le sait, si Pierre Daix prit ses distances du PCF à partir de 1956, il fut après guerre rédacteur en chef des Lettres françaises, l’influente revue littéraire du parti, et surtout un fervent stalinien, avant de glisser dans un anticommunisme tout aussi fervent ­jusqu’à un engagement très à droite. La première partie de ce nouvel ouvrage apporte donc un réel éclairage sur un épisode peu connu des premiers et très jeunes résistants communistes parisiens qui s’engagèrent, en dépit des instructions du parti, contre l’occupation allemande. Il montre ainsi combien l’aveuglement de ses dirigeants coûta alors au PCF plusieurs centaines de ses militants, arrêtés peu après.

La seconde partie, tout en se voulant une réflexion de fond (parfois non sans finesse) sur l’histoire, tourne malheureusement au règlement de comptes. L’auteur met ainsi en parallèle la manière dont les staliniens refusèrent d’admettre l’existence du goulag durant les années 1950 et la négation des chambres à gaz dans les années 1970 par Faurisson et quelques autres…
Sans se lancer dans une macabre échelle comparative de l’horreur, et pour terrible que fût cette attitude, on sait pourtant que celle des communistes après la guerre prenait part à une bataille politique au présent (qui coûtera très cher in fine au PCF avec la publication du rapport Khrouchtchev). Le « combat » des négationnistes faurissoniens, lui, fut celui de mystificateurs de l’histoire sur des faits avérés du passé . On peut certes comprendre la douleur a posteriori de Pierre Daix, rescapé des camps nazis, d’avoir été l’un des staliniens les plus sectaires après 1945, avant d’admettre cet aveuglement lui ayant fait défendre un régime qui déportait lui aussi ses opposants. Il reste qu’une telle comparaison est très contestable. Si le XXe siècle a connu de nombreuses tragédies, les motivations des staliniens dans les années 1950 ont peu à voir avec une entreprise d’affabulateurs, dissimulant là leur nostalgie du Grand Reich. En fait, ce livre peut aussi se lire comme un document sur les mécanismes de l’aveuglement en politique. Ce qui n’est pas sans intérêt.

Idées
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