Reportages en douleur

Au festival Visa pour l’image, dans la section humanitaire, trois femmes présentent des sujets remarquables sur l’immigration au Yemen, l’excision en Indonésie, la faim à Haïti.

Jean-Claude Renard  • 11 septembre 2008 abonné·es

Dans le florilège des travaux exposés au festival international du photojournalisme, Visa pour l’image, la triste trogne du monde se donne à voir aussi sans fièvre écologique, sans turbulence naturelle, sans explosif. Juste gavée des torts et travers bien en chair, bien humains. Au palais des Corts, érigé au XIVe siècle, sous les arcades gothiques, se distinguent ainsi trois reportages, rassemblés dans la section humanitaire que récompense le prix Care (association de solidarité internationale, non confessionnelle et apolitique). Trois reportages, réalisés par trois femmes (un hasard, piqué ici de sensibilité sans mièvrerie), jeunes photographes d’une trentaine d’années. Alixandra Fazzina s’est rendue dans le golfe d’Aden, pour témoigner des conditions épouvantables de l’exil vers le Yémen de Somaliens et d’Éthiopiens, coincés, abusés par les contrebandiers et passeurs. Corps charriés sur une plage, d’autres flottant en surface, attente des embarcations en file indienne, pleins paquets de 100 à 130 personnes par barque minable. Au premier retors en fond de cale ou sur le pont, ce sont les coups, le débarquement, la livraison aux requins. Un récit qui saigne.

Dans une autre histoire de chair et de sang, Stéphanie Sinclair s’est fixée sur l’Indonésie. Rebondissant sur un sondage national : 92 % des mères se disent favorables à l’excision. Au printemps, des campagnes d’excision gratuite sont organisées à Bandung. Le plus souvent, la mère remet sa fille entre les mains de quelques femmes qui lui enlèvent, d’un geste routinier, une partie de son sexe. Les campagnes sont sous la houlette d’une organisation islamique pour l’éducation et les services sociaux. Les excisions ont lieu dans les centres de prières, les écoles primaires. La procédure tient en quelques minutes. Puis Bétadine. La môme peut se rhabiller. Elle reçoit un fruit ou un vêtement en guise de cadeau, et un verre de lait pour se rafraîchir. Les exciseuses traditionnelles n’ont pas de formation. Elles apprennent sur le tas. Trois motifs pour justifier le boulot : stabiliser la libido de la femme ; la rendre plus belle auprès de son mari ; assurer son équilibre psychologique. Les mouflettes ont une dizaine d’années. Parfois ça tombe sur un nourrisson de neuf mois seulement. Roulez jeunesse…

Toujours au palais des Corts, le travail d’Ariana Cubillos est une affaire de table, de bouche, à Haïti, où 80 % de la population vit avec moins de deux dollars par jour. Ces dernières années, les prix des denrées alimentaires ont flambé. Certains habitants n’ont d’autre recours pour croûter que des galettes de boue, composées de terre jaunâtre, de sel et de matières grasses végétales. Ces galettes, façon tortilla, sont préparées sur le toit du fort Dimanche, l’ancienne prison, auparavant centre de torture occupé par les tontons macoutes de Bébé Doc. Une fois cuites, elles sont vendues sur les étals du grand marché de La Saline, à Port-au-Prince. Trois fois rien pour caler un estomac. Du pain bénit pour les pauvres.

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