Une gauche repliée sur elle-même

Si le désir d’unité reste fort face à la droite berlusconienne, Rifondazione comunista, qui a tenu son congrès cet été,
peine à réduire sa fracture interne.

Olivier Doubre  • 4 septembre 2008 abonné·es

Ton amer, le 30 juillet, pour clôturer le congrès de Rifondazione comunista. Gabriele Polo, directeur d’ Il Manifesto , le quotidien de la gauche critique transalpine (fondé en 1969 par un groupe d’intellectuels du PCI sans l’aval de la direction du parti et promptement exclus pour cela), commençait ainsi son éditorial : « Le communisme italien n’a rien fait pour mériter l’épilogue auquel il semble devoir être contraint en ce début de siècle nouveau. […] Quiconque sortira vainqueur aujourd’hui de ce congrès de Rifondazione héritera d’un parti lacéré et réduit à sa plus simple expression, au sein d’une gauche repliée sur elle-même et peinant à se faire comprendre, dans un contexte marqué par la domination sans partage de la droite berlusconienne » … Après l’exclusion du Parlement italien aux élections législatives d’avril dernier des formations de la Sinistra-L’Arcobaleno, qui regroupait les deux partis communistes, Rifondazione et le petit Parti des communistes italiens (PdCI), les Verts et Sinistra democratica (SD), l’aile gauche des anciens Démocrates de gauche ayant refusé d’intégrer le très centriste et inodore Parti démocrate (PD). La rapide désintégration de ce courageux embryon de fédération d’une gauche de (la) gauche, sociale et écologiste semblait inévitable (cf. Politis n° 998 et 999).
Mort-née en quelques semaines, la Sinistra-L’Arcobaleno devint immédiatement le bouc émissaire, portant la responsabilité de la défaite. Celle-ci était pourtant d’abord due, faut-il le rappeler, à l’incessante « course au centre » d’un Parti démocrate, qui, in fine , ne parvint pas lui-même à faire le plein de ses voix, après avoir passé toute la campagne à attaquer davantage que la droite berlusconienne l’offre électorale sur sa gauche. Il fit aussi opérer un déplacement général vers la droite de tout l’échiquier politique transalpin. Mais, au sein des quatre formations de gauche, les vieux démons de la division et du repli sur soi reprirent rapidement le dessus…

Au sein de la Sinistra-L’Arcobaleno, Rifondazione comunista avait été le parti qui s’était le plus investi dans cette fédération en construction, dans le droit fil d’une réflexion interne menée depuis plusieurs années sur un possible « dépassement de la forme-parti » (comme nous l’avait déclaré son secrétaire général de l’époque, Franco Giordano, (cf. Politis n° 989 du 14 février 2008). Les opposants à cette ligne étaient, eux, bien décidés à prendre leur revanche au congrès de fin juillet, convoqué par la direction du parti démissionnaire au lendemain de la défaite. Cinq motions se constituaient alors : trois de petite taille, représentant les tendances de la gauche du parti, et deux autres regroupant chacune près de 45 % des adhérents. La motion n° 1, conduite par Paolo Ferrero, ancien ministre de la Solidarité sociale (dont l’action fut courageuse dans le gouvernement Prodi), multipliant les attaques, tentait de rassembler toutes les critiques contre le passage au gouvernement et l’ancienne direction, mais aussi contre la démarche unitaire de la gauche de (la) gauche. La motion n° 2, emmenée par Nichi Vendola, président de la Région des Pouilles, regroupait l’ancienne majorité du parti, souvent dénommée bertinottienne, du nom de l’ancien président de la Chambre des députés, Fausto Bertinotti, leader historique de Rifondazione et chef de file des listes de la Sinistra-L’Arcobaleno aux élections. Signe de son positionnement, la motion s’intitulait « Rifondazione per la sinistra » [« Refondation pour la gauche »]…

Le congrès fut marqué par un affrontement à couteaux tirés entre ces deux blocs, et le parti, depuis, semble avoir du mal à se relever de la profonde fracture advenue à cette occasion. En effet, déterminé à prendre à tout prix la direction du parti, Paolo Ferrero fut contraint à nombre de surenchères idéologiques, afin d’attirer les délégués des petites motions et obtenir la majorité. Et l’ancien ministre de tirer à boulets rouges sur le gouvernement dont il faisait partie ! Pari réussi in fine : il emporta de justesse le vote final avec un peu plus de 52,5 % des voix. Rifondazione comunista se re­trouve aujourd’hui sans représentation parlementaire, divisée en deux camps qui ne se parlent plus ou avec difficulté, et en passe de quitter nombre d’exécutifs locaux où elle siège avec le PD. Si, le 10 août, dans une interview à Liberazione , le quotidien du parti, Paolo Ferrero promettait une « gestion unitaire », celle-ci semblait mal engagée à lire la réponse de Franco Giordano, l’ancien secrétaire général défait : « Nous sommes l’autre moitié du parti et nous reconstruirons la gauche » !
Toutefois, face à la politique particulièrement revancharde et violente de la droite berlusconienne, le désir d’unité reste fort au sein de l’électorat de gauche. Cesare Salvi, leader de Sinistra democratica, interviewé en août par Liberazione , appelait lui aussi à relancer « rapidement la réflexion » en vue de l’unité de la ­gauche… Et une autre initiative – qui ne pouvait qu’intéresser Politis et son « Appel » – était lancée en août par le directeur de Liberazione, Piero Sansonetti, qui, depuis sa rédaction, proposait la tenue à l’automne d’une « assemblée de la gauche » . Mais la fracture interne à Rifondazione sera cependant longue à réduire : les tenants de la motion n° 2 (les désormais « vendoliani » ) ont convoqué une assemblée, le 27 septembre à Rome, « ouverte à tous ceux qui sont intéressés par un projet de constituante pour la gauche » . Mais ceux de la nouvelle majorité (de la motion n° 1) projetaient, eux, de tenir la leur le… 14 septembre.

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