Ils votent à leur santé

De nombreuses organisations américaines militent pour une refonte du système de soins, fondé sur le profit privé. Leur lobbying a incité Barack Obama à garantir une politique plus solidaire en cas d’élection. Reportage.

Xavier Frison  • 16 octobre 2008 abonné·es

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Illustration - Ils votent à leur santé

Quand les « progressistes » de la gauche américaine se réunissent à Denver, dans le Colorado, où s’installent-ils ? Dans une église presbytérienne, pardi ! À l’ombre de vitraux jaune orangé, les bibles sont sagement rangées au dos des bancs encore choqués par la mise de ces fidèles un peu particuliers. Malgré cette originalité tout américaine, pas de doute sur le pedigree très « à gauche » de l’assistance, focalisée en cette fin d’été sur la question de la couverture santé universelle aux États-Unis. Assis en rang d’oignons à la place du curé devant une assistance de 250 personnes, sous des banderoles militantes tombées du ciel via les balcons, les intervenants sont présentés ainsi par le monsieur Loyal de la journée : « Sans ces gars-là, le Parti démocrate n’aurait jamais garanti un système de santé pour tous dans son programme. »

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Deux cent cinquante personnes se sont réunies dans une église pour débattre de la couverture santé. Olivier Zanettin

Parmi ces « gars », le docteur Rocky White, défenseur du système de santé solidaire à Denver. Look de cow-boy endimanché, catogan de cheveux gris, chemise blanche, gilet de cuir et jeans, il constate que l’ « on voit de plus en plus de gens incapables de payer leurs frais de santé, ou obligés de quitter les urgences faute de moyens. Il y a un impératif moral à changer le système ». Donna Smith, vedette malgré elle du dernier film de Michael Moore, Sicko, et fondatrice de l’organisation American Patients United, a survécu à son cancer. Mais ce n’est pas ce qu’elle retient de ces moments douloureux : « Ma principale préoccupation, quand j’ai appris que je risquais de mourir, cela n’a pas été la maladie, mais : “Comment je vais payer les factures, garder mon travail et ma maison ?” » Son contrat de santé privé ne l’empêchera pas d’avoir « tout perdu. Le système de santé mutualisé est bon pour tout le monde, sauf pour l’industrie de l’assurance ».

Honnie par les lobbies du business de la santé, la sécurité sociale collective n’a jamais été aussi proche d’aboutir. Norman Salomon, membre du bureau du mouvement Progressive Democrats of America, a été l’un des grands artisans de l’engagement ferme du Parti démocrate en faveur de ce système : « Quand j’ai regardé la position d’Obama sur cette question, je me suis dit : “Bof, c’est vraiment pas terrible.”. » Cinq cents signatures de délégués démocrates à la Convention plus tard, l’affaire était dans le sac. Le docteur White refuse cependant de céder à l’euphorie : « Nous devons garder la pression sur Barack Obama. »

Loin du tumulte de la salle des prières, Elinor Christiansen raconte avec passion son combat pour un système de santé plus juste. À 79 ans – elle en paraît 15 de moins –, cette médecin cofondatrice de l’association Health Care for all Colorado a eu tout le loisir d’observer de près les failles du système. « Aux États-Unis, 47 millions de personnes n’ont pas d’assurance santé. Pourtant, la plupart de ces gens travaillent, mais comme l’employeur n’est pas obligé de leur proposer une assurance… Chaque année, aux États-Unis, 18 000 personnes meurent, non par impossibilité de soin, mais faute d’assurance. Dans le Colorado, ils sont 800 000 sans assurance, et 75 % d’entre eux travaillent à temps plein. » Sans perdre son sourire, elle finit de ­peindre un tableau effarant : « 30 % de l’argent de la santé part dans l’administration du système, le salaire des cadres des compagnies d’assurance, des équipes administratives des médecins, etc. Certaines compagnies ne cachent même pas qu’elles refusent systématiquement les de­mandes de soins de leurs clients deux fois d’affilée, sans même consulter le dossier. Ce n’est qu’à la troisième tentative, si le patient n’a pas encore abandonné, que la compagnie se penche sur son cas. » À ce stade, ces sociétés privées, motivées par le seul bénéfice financier, rivalisent d’imagination pour ne surtout pas débourser un centime. Le système de formation des médecins, hors de prix, pose également problème : « En moyenne, un praticien en fin d’études a 200 000 dollars de dettes. Sachant cela, ils sont de plus en plus nombreux à choisir des spécialisations bien rémunérées, ce qui crée un gros manque de médecins généralistes. »

Pourtant, une autre voie est possible. Elinor Christiansen l’a expérimentée dès 1947, en créant pour les 16 000 étudiants et anciens élèves de l’université de Denver un plan de sécurité sociale collective. « Beaucoup d’entre eux n’avaient jamais eu ­d’assurance, certains sont venus me voir avec la malaria » , se souvient-elle. Mais, à son départ de l’université, en 1985, son successeur autorise certains élèves à sortir du système mutualisé. Résultat, « les frais ont triplé, car tout le monde ne jouait plus le jeu ». Convaincue que Barack Obama sera celui par qui le système changera, Elinor Christiansen pointe l’urgence de la situation : « Ces huit dernières années, nous avons reculé de trente ans dans notre conscience sociale et dans notre perception du bien commun. »


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À travers les États-Unis

Jusqu’à l’élection présidentielle du 4 novembre, Politis publie chaque semaine un volet de ce reportage sur les routes américaines, du Colorado au Vermont. Soit 5 000 kilomètres en trois semaines, à la rencontre de l’Amérique dite « progressiste ». Vous découvrirez notamment comment les militants alternatifs, rassemblés à Denver, font vivre la contestation et les idées « libérales » dans le pays. Les lobbyistes politiques s’échinent, eux, à tirer le Parti démocrate sur sa gauche. Quant aux défenseurs de la couverture santé universelle, ils misent tout sur Obama. À Saint Louis, dans le Missouri, une militante écologiste décrit la difficulté de sensibiliser les Américains. Enfin, à Burlington, dans ce Vermont très progressiste, élus et citoyens tentent de construire un petit bout d’Amérique à part.

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