Le « dire » et le « faire »

Crise économique oblige, les ténors socialistes gauchisent leur discours à l’approche du congrès de Reims. Mais il y a loin de l’intention des motions aux actes de leurs signataires.

Michel Soudais  • 30 octobre 2008 abonné·es

Le 6 novembre est un jour de votes. En journée, les personnels des collectivités ­locales élisent leurs représentants. Dans la soirée, les militants socialistes se prononcent sur les six motions du congrès de Reims. Rien n’aurait dû rapprocher ces deux scrutins, l’un syndical, l’autre politique. Ni non plus les opposer. Et pourtant, la préparation du premier fait douter des ­belles paroles dont se gargarisent les socialistes dans leurs motions.
Une douzaine d’élus du PS, et non des moindres (Bertrand Delanoë, Jean-Marc Ayrault, Martine Aubry et Gérard Collomb…), ont tout bonnement décidé de recaler les listes présentées par le syndicat SUD-CT. D’un strict point de vue juridique, ces édiles en avaient la possibilité : en l’attente d’une loi qui transposera au premier semestre 2009, dans le secteur public, les accords sur la représentativité syndicale de juin dernier, approuvés par 70 % des organisations syndicales, seuls les cinq syndicats historiques – CGT, CFDT, FO, CFTC, CGC – bénéficient d’une irréfragable présomption de représentativité. Deux circulaires de la Direction générale des collectivités locales (20 juin et 2 septembre) incitent toutefois les employeurs à prendre en compte les accords de Bercy et à anticiper ainsi sur les dispositions de la future loi.

Illustration - Le « dire » et le « faire »


Blairiste en 2007, Ségolène Royal fustige aujourd’hui le capitalisme financier.
Fedouach/AFP

Les « SUD » ne décolèrent pas. Passe encore que quatre élus UMP, dont le président du conseil général des Hauts-de-Seine, Patrick Devedjian, les empêchent de se présenter aux élections professionnelles, mais des socialistes ! Marie-Françoise Vabre, secrétaire fédérale de SUD-CT, juge « scélérat de dénier aux salariés le droit minimum de dire qui va les représenter ». Pétitions, recours en justice (gagnant à Lyon, perdant à Lille, le jugement pour Paris est rendu cette semaine), communiqués… Les syndicalistes ironisent sur ces prétendus « grands réformateurs » au comportement de « patrons sans état d’âme qui appliquent des lois liberticides » . Leurs noms circulent sur le Net [^2], et les interpellations se multiplient au bas des blogs politiques, sans parvenir à franchir jusqu’ici le mur du silence médiatique.

Du coup, les socialistes eux-mêmes ignorent comment ceux qui se présentent à leurs suffrages traitent la « démocratie sociale » vantée dans les trois motions dont ils sont signataires. Sur le papier, le maire de Paris et son collègue de Nantes affirment ainsi vouloir se « battre avec la dernière énergie pour redynamiser notre démocratie sociale et confier de nouveaux droits collectifs aux salariés » , « renforcer les syndicats dans leur représentativité et donc dans leur légitimité à négocier des accords ». Consciente du « besoin de syndicats forts et représentatifs » et de la nécessité de « les renforcer » , Martine Aubry suggère de « donner à chaque salarié un chèque syndical (financé par l’entreprise et l’État) pour le verser au syndicat de son choix ». Une idée avancée aussi dans la motion de Ségolène Royal, dont le maire de Lyon, Gérard Collomb, est le premier signataire : « Nous devons être ceux qui mettons la démocratie au cœur de tous nos choix » , lit-on dans ce texte qui préconise « des syndicats plus représentatifs » et veut « faciliter un syndicalisme respecté et puissant ». Entre le discours et les actes, ce n’est plus un fossé mais un abîme.

Loin d’être anecdotique, l’histoire devrait alerter les militants socialistes sur la sincérité des orientations défendues par les uns et les autres dans leurs motions. D’autant que les motifs d’étonnement ne manquent pas. « L’application stricte des décisions collectives sera désormais une règle absolue », lit-on dans le texte de Bertrand Delanoë. Une discipline que l’un de ses plus illustres signataires, Pierre Moscovici, défend… dans une certaine limite. Partisan d’approuver le plan de sauvetage des banques de Nicolas Sarkozy, le député du Doubs a expliqué, vendredi, sur Radio Orient, qu’il avait accepté l’ « abstention constructive » décidée en réunion de groupe « par discipline de vote et parce que ce n’était pas un cas de conscience » . En revanche, a-t-il ajouté, « si on me dit que sur les traités européens il faut voter “non” alors que je pense “oui”, je vais voter “oui” » . Un cas de conscience que les pro-Delanoë, comme les pro-Royal, refusent toujours d’admettre pour ceux qui ont fait publiquement campagne contre le Traité constitutionnel européen.
Mais c’est encore sur le grand sujet du moment que l’écart entre le « dire » et le « faire » est le plus grand. Depuis que la crise s’est invitée dans les discussions du congrès de Reims, les faillites bancaires, l’effondrement des bourses, la récession et le retour du chômage n’ont pas uniquement ramené les débats de l’été (Faut-il un présidentiable à la tête du parti ? Des primaires ? Quelles alliances ?) à leur dimension microcosmique. Les ténors de la majorité sortante se sont aussi souvenus qu’un congrès se gagne à gauche.
Les partisans de Benoît Hamon, dont la motion « Un monde d’avance » rassemble toutes les sensibilités de la gauche du PS réputées « archaïques » il y a encore deux mois, s’en amusent. « Aujourd’hui, plus personne ne défend le libre-échange ni se prononce pour des alliances avec le MoDem. En public en tout cas » , sourit Razzy Hammadi. Les principaux animateurs de motion ayant repris à leur compte ce qu’ils critiquaient encore hier, il n’y a plus au PS que des socialistes partisans de l’union de la gauche, prônant le retour de l’État pour imposer des règles aux marchés. « Si l’on définit l’intelligence par la faculté à s’adapter, ironise un militant de la Somme sur le site de la motion Hamon, notre parti ne manque pas d’esprits brillants… » Et Ségolène Royal est sa plus belle étoile.

Blairiste en 2007, l’ex-candidate à la présidentielle évitait alors de se dire socialiste ; elle signe aujourd’hui une motion intitulée « Fier(e)s d’être socialistes ». Elle qui ne croyait possible ni la généralisation des 35 heures ni le Smic à 1 500 euros a prôné au Zénith l’interdiction de licencier et de délocaliser. Vendredi, à Montlouis-sur-Loire, elle a exhorté « les citoyens » à « faire remonter leur colère pour que ça change » . « Contre le capitalisme financier, rien ne sera obtenu sans un rapport de force » , a-t-elle lancé, en refusant que la crise serve « à renflouer une caste de financiers irresponsables ». Étonnée que, « bizarrement » , on ne trouve pas « des milliards d’euros pour le pouvoir d’achat [ni] pour l’emploi » , elle a appelé à « aller chercher l’argent là où il est » dans « le trésor caché des pétroliers et des entreprises de la filière énergétique » , Total, Edf, Areva, un « trésor » qu’elle évalue à 50 milliards d’euros.

Si les autres leaders socialistes qui voulaient marier socialisme et libéralisme ont eux aussi délaissé leurs convictions pour une stratégie caméléon, aucun n’a encore fait un tel virage. Restent cependant bien des questions. Comment prétendre vouloir une Europe plus démocratique et plus sociale après avoir voté des traités qui interdisent toute harmonisation fiscale et sociale ? Comment lutter contre les paradis fiscaux si le traité de Lisbonne « interdit » désormais « toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres [de l’UE] et les pays tiers » ?
Si « gouverner c’est prévoir » , comme le rappelle Mme Royal, ceux qui ont approuvé le traité de Lisbonne devraient être sanctionnés. Et ceux qui, autour de Benoît Hamon, l’ont refusé et le tiennent pour « caduc » devraient pouvoir gouverner le PS à leur tour.

[^2]: Outre les quatre cités, les autres élus sont les maires Jean-Claude Antonini (Angers), Bernadette Laclais (Chambéry) et Thérèse Thierry (Lanester), le président de la Communauté urbaine de Strasbourg, Jacques Bigot, les présidents de conseils généraux Vincent Eblé (Seine-et-Marne), Didier Arnal (Val d’Oise) et Rachel Mazuir (Ain), ainsi que Jean Janquin du Centre de gestion du Pas-de-Calais.

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