Crise d’angoisse pour les intermittents

Les négociations sur le régime général de l’assurance-chômage ravivent les inquiétudes des intermittents du spectacle. Ceux-ci redoutent la suppression de leur régime spécifique d’indemnisation.

Pauline Graulle  • 24 décembre 2008 abonné·es

Chômeurs, saisonniers, intermittents du spectacle… Deux milliers de précaires sont venus manifester, mardi 16 décembre, devant un cordon de CRS posté rue Bosquet, dans le VIIe arrondissement à Paris. Ce scénario s’est répété le 23 décembre à quelques encablures du siège du Medef, théâtre de la dernière séance des négociations entre patronat et syndicats relatives à la convention Unedic 2009-2011 sur l’indemnisation des chômeurs. Après, c’est le saut dans l’inconnu : les fameuses annexes 8 (techniciens) et 10 (artistes) devraient être abordées en janvier. « On ne sait pas quand, mais on sait par expérience que lorsqu’on s’attaque au régime général, les intermittents sont durement touchés » , relève Patrick Jardin, syndicaliste à la CGT-spectacle.
Les 100 000 intermittents du spectacle le savent : leur statut ne tient plus qu’à un fil. « Le principe d’un jour indemnisé pour un jour travaillé, qui vient d’être acté lors des négociations sur le régime général, va isoler les intermittents, affirme Maurad Rabhi, secrétaire confédéral de la CGT. Comment les intermittents pourront-ils justifier qu’ils sont indemnisés pour 8 mois alors que les 507 heures travaillées qu’ils doivent réaliser en 10 mois correspondent à 3 mois de travail effectif ? Pour l’instant, le sujet est tabou mais, en douce, le patronat prépare le terrain pour les prochaines négociations, qui auront lieu dans trois ans. » Car, en ces temps de précarisation généralisée, les intermittents auront tôt fait d’être désignés comme des privilégiés. « C’est une déformation faite à dessein par les néolibéraux, s’indigne Antoine, de la Coordination des intermittents et précaires d’Île-de-France (CIP-IDF). En réalité, nous vivons globalement dans la précarité, surtout depuis cinq ans. »

Illustration - Crise d’angoisse pour les intermittents

Le 16 décembre, les intermittents du spectacle manifestaient devant le siège du Medef.
Pauline Graulle

En 2003, le protocole Unedic signé par le Medef et trois organisations syndicales (CGC, CFDT et CFTC) avait ainsi déclenché des mobilisations historiques et l’annulation de plusieurs festivals. Le nouveau calcul des droits, obligeant les artistes et les techniciens du spectacle à effectuer 507 heures travaillées sur 10 mois environ (et non plus sur l’année entière) pour prétendre à une indemnisation sur 8 mois, a porté un coup dramatique au secteur. « Depuis 2003, beaucoup d’intermittents sont sortis du régime. Des ­artistes qui travaillaient depuis des di­zaines d’années se sont retrouvés au RMI » , raconte Françoise Chazaud, secrétaire générale de la fédération ­FO-spectacle. « Le protocole a généré l’exclusion des plus fragiles et ne répond pas à l’objectif affiché de réduire le déficit, qui n’a d’ailleurs cessé d’augmenter ! » , remarque Jean Voirin, secrétaire général de la CGT-spectacle.
D’autant que le fonds tran­sitoire, qui constituait depuis la réforme un filet de sécurité, a été supprimé en avril dernier. Il sera remplacé par l’allocation de fin de droits au 1er janvier 2009. « 30 000 artistes vont se ­re­trouver sur le carreau, avec une allocation de fin de droit de 30 euros par jour pendant 2 à 6 mois » , explique Franck Guilbert, comédien et secrétaire général du syndicat national libre des artistes FO. Et d’ajouter : « De toute façon, la présomption de salariat des ­artistes est remise en cause par ­l’Union européenne elle-même. La Cour européenne de justice menace la France d’amendes. »

Et un rapport de l’inspection générale des ­affaires sociales, publié en novembre, a jeté un pavé dans la mare. « L’annexe 8 est dans le collimateur », constate Jean Voirin. Machinistes, électriciens, décorateurs pourraient « retomber » dans le régime général. « Il y a un amalgame entre les techniciens qui doivent réellement être sous le régime de l’intermittence, c’est-à-dire ceux qui montent des chapiteaux, partent en tournée, etc., et ceux qui sont victimes des abus des sociétés de production dans l’audiovisuel, employés en tant qu’intermittents alors qu’ils devraient être requalifiés en CDI » , souligne Françoise Chazaud. « La rumeur court que les techniciens du spectacle pourraient être assujettis à l’annexe 4, relative aux intérimaires de l’industrie, même si, pour l’instant, on en est réduits aux bruits de couloir », admet Antoine de la CIP-IDF.
Pas sûr, donc, que les intermittents résistent à la crise. À moins que le gouvernement, qui commence à redouter que la France s’embrase, n’hésite à allumer la mèche.

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