Les illusions de la croissance verte

Geneviève Azam  • 24 décembre 2008 abonné·es

Face à la violence de la crise sociale, face à la crise écologique et climatique, la croissance verte (voir dossier du n° 1031 de Politis) est annoncée comme la bonne nouvelle et la solution à l’urgence écologique et sociale. Voyons ce qu’il en est, en revenant sur les origines de la double crise.
Le néolibéralisme fut la réponse à la crise structurelle du capitalisme qui se manifeste dès les années 1970. De nombreuses études ont alors analysé les ressorts de cette crise d’accumulation : crise du fordisme, crise de suraccumulation avec baisse de la rentabilité du capital, crise des régulations nationales de type keynésien dans un monde internationalisé. Mais c’était déjà aussi une crise de la politique de croissance et du productivisme, crise des sociétés organisées autour de la production-consommation de masse. À partir des années 1960, en effet, les conséquences écologiques globales de ce modèle, la gigantesque consommation de ressources énergétiques et minéralogiques qu’il occasionne, sont déjà des préoccupations publiques et scientifiques. Pensons par exemple au sommet de Stockholm des Nations unies en 1972, intitulé Nous n’avons qu’une terre !

La crise sociale des années 1980 a marginalisé ces interrogations au nom de l’urgence sociale. Ce retournement s’est conjugué avec la promesse d’un monde délivré de la pauvreté et de la guerre avec le libre-échange généralisé, la déréglementation financière et une croissance enfin retrouvée. Mais les politiques néolibérales, en étendant ce mode productiviste à l’ensemble de la planète, ont accru et accéléré la pression sur les ressources à un point inimaginable, elles ont creusé les inégalités sociales de manière insupportable et dopé la croissance par l’endettement, la pression sur le travail et la prédation des sociétés du Sud. Même si ce ne sont que des ordres de grandeur, la pression écologique, mesurée par l’empreinte écologique, correspondait pour la France à l’équivalent de 0,6 planète au début des années 1960, elle est actuellement de l’ordre de 1,2 planète. La globalisation, en supprimant toutes les limites sociales, politiques, culturelles à la marchandisation et à la croissance illimitée, a paradoxalement révélé les limites du monde. C’est ce monde-là dont nous héritons, et non un monde mythique avec de « nouvelles frontières » à conquérir. C’est ce monde dévasté qu’il faut reconstruire car il n’y a pas d’ailleurs.
Nous excluons ici toutes les solutions, qui à droite ou à gauche, pour des raisons différentes mais avec le même résultat, consisteraient à prioriser la question sociale en remettant à plus tard la résolution de la crise écologique, tout comme les postures qui consisteraient, de fait, à devoir attendre l’effondrement du capitalisme pour résoudre la double crise. L’urgence sociale ne doit pas éluder la nécessité d’une transition, dès aujourd’hui, vers un système écologiquement soutenable. Mais comment ?

La croissance verte, avec la focalisation sur la production d’énergies renouvelables, sur la voiture électrique et autres procédés techniques, laisse penser que la crise actuelle pourrait être dépassée grâce à un nouveau paradigme technologique, fondé sur d’autres sources d’énergie après ce que furent le charbon et le pétrole, grâce donc à une révolution industrielle capable de créer des emplois et de repartir sur un nouveau cycle long de croissance. Combattre cette illusion technologique ne signifie en rien l’abandon des procédés techniques dont nous avons besoin dès aujourd’hui pour sortir de l’ornière et reconstruire un horizon ; c’est faire sauter le verrou qui empêche d’assumer pleinement les origines politiques et sociales de l’effondrement que nous vivons, à l’échelle planétaire. En effet, les énergies renouvelables ne permettront pas, à supposer que cela soit souhaitable, l’extension de la consommation énergétique moyenne des États-Unis ou même de l’Europe à l’ensemble du monde. Et la fée électricité ne supprimera pas le fait que la voiture électrique suppose toujours des routes, autoroutes, parkings, matériaux et… électricité ! L’hymne à la croissance répète une partition tristement connue, et si les fondamentaux sont inchangés, elle conduira aux mêmes déboires que la « nouvelle économie », qui fut l’illusion technologique des années 1990 avant de s’abîmer dans un krach boursier.
Face à cette crise, l’urgence est à la solidarité, dans son sens le plus fort, au niveau national et international. La transition nécessaire vers un monde écologiquement soutenable suppose de poser dès aujourd’hui les bases politiques d’une reconversion des modes de production, de consommation et d’échange. Les solidarités collectives, sous toutes leurs formes, en sont un pilier central ; elles doivent inclure la reconnaissance de la dette écologique vis-à-vis des pays du Sud et l’engagement pour des politiques contraignantes et différenciées de sobriété énergétique.

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