Les travailleurs de la montagne en froid avec le patronat

Le mouvement de grève des saisonniers de l’hiver 2007 menace de se reproduire cette année. Une saisonnière, un sociologue et un syndicaliste* en expliquent les raisons.

Politis  • 11 décembre 2008 abonné·es

En arrêtant le travail dans des dizaines de stations l’hiver dernier, les saisonniers ont démontré une capacité de mobilisation avec laquelle il va falloir compter à présent. Souvent, ils ont été surpris eux-mêmes de l’impact qu’ils ont provoqué. Là où il était inconcevable que leurs patrons les écoutent, sur certains sites, ils les ont fait plier. Il faut dire que les vacanciers des stations n’aiment pas monter en haut des pistes en canard !
Ce vaste mouvement a été provoqué par la scandaleuse décision prise par l’Unedic en 2005 de supprimer les indemnités Assedic aux saisonniers ayant cumulé trois années de travail consécutives dans la même entreprise pour la même durée de contrat. Les partenaires sociaux – excepté la CGT et FO – ont-ils cru que cette relative stabilité était un luxe ?
Le traitement infligé aux saisonniers est emblématique de ce que le Medef veut imposer au monde du travail, qu’il a émietté en chômeurs-travailleurs-précaires : une intermittence entre le travail et le salaire ; une assurance chômage qui ne protégerait pas les plus précaires qui pourtant devraient cotiser ; une inversion de la solidarité. C’est la flexsécurité !
Les salariés saisonniers connaissent une double pénalisation : d’une part, ils se voient imposer un CDD ; d’autre part, ils connaissent une minoration, voire une suppression des droits aux Assedic. Ces milliers de salariés contraints aux CDD cotisent à une assurance obligatoire prélevée sur leur salaire, mais n’ont pas d’allocation-chômage ! Tous cotisent, peu perçoivent.

Contrairement à l’image qu’on voudrait imposer, les salariés saisonniers du tourisme ne sont pas des occasionnels à la recherche d’un job, ce sont des professionnels de qualité contraints à la précarité par un patronat qui prend et jette une main-d’œuvre qualifiée sans se soucier de son devenir. Sans les 400 000 saisonniers, le tourisme français, premier secteur économique du pays avec 140 milliards d’euros de résultats, et un des plus important au monde, ne saurait fonctionner. La désertification en montagne s’accentuerait, les paysages et le patrimoine ne seraient plus mis en valeur. Cela va à l’encontre des préconisations du plan de modernisation du tourisme annoncé par l’État. Le tourisme et l’agriculture ne se délocalisent pas. Pour une offre de tourisme de qualité, notre pays doit progresser en termes de droit du travail, particulièrement pour ses salariés précaires, et non déréguler à tout va… C’est l’ensemble de la société qui bénéficie des richesses créées par les saisonniers, c’est donc à la société tout entière d’assurer la protection sociale de ceux-ci.
Leur parole, telle qu’elle s’exprime sur le site www.petitionsaisonniers.org, montre qu’ils sont les artisans oubliés d’une industrie prospère. Ces intermittents du travail deviennent des intermittents de l’accès aux ressources vitales. Le logement, le crédit, les soins, les vacances (!) deviennent pour eux inaccessibles. Qui a intérêt à cette dégradation sociale ? Le plus grave est que, par le traitement qu’ils subissent, les saisonniers semblent préfigurer une société libérale où les protections collectives seraient démantelées, où il serait normal de n’être payé que pour la seule durée du contrat mais au minimum, où les salaires différés et mutualisés seraient éliminés.

L’événement de l’hiver dernier réside dans les mouvements que les saisonniers ont déclenchés en montagne pour obliger l’Unedic à abandonner la convention de 2005. Ils ont appris qu’ils pouvaient se rassembler et utiliser le bouclier que représente le réseau des syndicats et des associations. Déjà, des préavis de grève sont lancés dans des stations pour le 23 décembre pour peser sur les discussions des partenaires sociaux réunis au Medef. Alors qu’est renégociée cette convention, nous demandons que les règles d’ouverture des droits correspondent à la réalité des situations de précarité contrainte et de la nature des contrats. Nous demandons l’instauration d’une indemnité minimum journalière durant les périodes non travaillées sur la base d’une demande du président Sarkozy : pour un jour travaillé, un jour indemnisé. Nous demandons aussi l’ouverture des droits à l’indemnisation après 3 mois de travail effectué par période de 12 mois (ce qui concerne 800 000 à 900 000 salariés). Nous demandons enfin l’ouverture de négociations pour un socle de droits des saisonniers du tourisme dans la perspective d’un véritable statut du travail salarié.
Ces revendications seront portées, après la manifestation des mouvements de chômeurs le 6 décembre, par celle du 16 décembre à l’appel de la CGT, dans les régions et à Paris au siège du Medef, où se négocie la prochaine convention de l’assurance chômage.

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