Un saut dans le vide

Il aura fallu une année à Nicolas Sarkozy pour réformer le service public. En dépit des incertitudes.

Jean-Claude Renard  • 24 décembre 2008 abonné·es

À l’arrachée. C’est fait, après quatre-vingts heures de débat. Peu importent les voix qui se sont élevées. Peu importent les amendements. Peu importe que la loi passe seulement au Sénat le 7 janvier. Deux jours avant, il n’y aura déjà plus de publicité sur France Télévisions entre 20 heures et 6 heures. Tant pis donc pour le Sénat, qui arrivera comme les carabiniers (ce qu’on pourrait alors appeler un déni de droit).

Nicolas Sarkozy avait annoncé la réforme le 8 janvier 2008. Moins d’un an après, c’est bouclé. La loi a donc été votée à l’Assemblée. Une réforme de l’audiovisuel public pour mieux informer, cultiver, distraire, où « l’audience doit être une ambition et non une ­obsession » . On résume : au président de la République de nommer ou révoquer le président de France Télévisions. Un budget de 450 millions d’euros pour 2009 provenant de taxes : d’une part, sur les ressources accrues des chaînes privées via la pub (1,5 % au lieu des 3 % prévus sur le chiffre d’affaires), mais avec un abattement de 11 millions d’euros tout de même ; et, d’autre part, sur la téléphonie mobile et Internet (0,9 % sur leur chiffre d’affaires). D’après le projet de loi, RFO était épargnée et conservait ses pages de réclame. Finalement, son sort est celui des autres chaînes publiques, à travers un amendement adopté in extremis. Ce sont plus de dix-huit millions d’euros en moins pour RFO. C’est une aubaine et un hasard heureux pour les groupes privés, au rang desquels la société France Antilles, qui appartient au groupe Hersant. Et il n’y aura aucune augmentation de la redevance, mais une simple indexation sur l’inflation. Rien de pérenne en somme.

Comme le temps a fini par presser dans l’examen parlementaire, il a été demandé à Patrick de Carolis, président de France Télévisions, de se tirer une balle dans le pied et de décréter lui-même la fin de la pub au 5 janvier. On n’est pas à une humiliation près dès lors qu’il s’agit d’un chiraquien.
Parallèlement, la publicité passe de 6 à 9 minutes par heure sur les chaînes privées. Joli cadeau de fin d’année. Cela dit, Martin Bouygues (TF 1) et Nicolas de Tavernost (M6) estiment qu’il n’y a pas là de quoi sauter au plafond. La crise étant ce qu’elle est, « la suppression de la publicité sur France Télévisions n’entraînera pas forcément de re­cettes supplémentaires pour TF 1 puisqu’il y a une récession du marché » , a déclaré Bouygues dans un entretien accordé au Figaro. Christine Albanel, ministre de la Culture, serait prête à pousser jusqu’à 12 minutes. On y arrivera un jour. En outre, les chaînes privées ont obtenu une deuxième coupure de pub (par tranche de trente minutes) dans les fictions et les films. On a beau tourner et retourner la réforme, on aboutit à un presque copié-collé du fameux Livre blanc de TF 1 rédigé par la maison Bouygues à l’automne 2007 et remis entre les mains de Nicolas Sarkozy quelques semaines avant sa décision officielle, comprenant les articles de la réforme les plus importants, comme la suppression de la pub sur le public et son augmentation sur le privé.

Il existe aussi dans cette réforme un élément qui risque de peser sur les professionnels : France Télévisions, constituée de plusieurs entités, va devenir un « média global » , pour « affronter la concurrence » dit-on. Il y aura donc un guichet unique, ou ce qu’on peut appeler une concentration du pouvoir. Derrière le guichet, un directeur pour ­toutes les chaînes. Et devant le guichet, les producteurs qui feront la queue. Faudra se montrer patient et docile. Au 5 janvier prochain, ce sera donc le grand saut dans le vide pour France Télévisions, ses employés, ses programmes, son argent. Pour les années suivantes, ça risque d’être pire.

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