Le marché aux poissons

Hélène Crié-Wiesner  • 8 janvier 2009 abonné·es

Le 2 décembre, les neuf juges de la Cour suprême des États-Unis se sont penchés sur un cas d’école soumis par les compagnies électriques. Celles-ci leur demandent – en gros – d’évaluer le prix des poissons et du plancton décimés par leurs 550 centrales réparties sur le territoire américain.
Ces dernières années, les électriciens ont localement perdu tous les procès intentés par des associations environnementales et plusieurs États. Avec cet ultime appel, elles jouent leur dernière carte avant l’arrivée d’Obama, lequel a promis de faire table rase de l’abominable passé anti-écolo de l’administration Bush.

Aujourd’hui, les centrales électriques sont tenues « d’utiliser les meilleures technologies disponibles » pour minimiser leur impact sur les ressources en eau. Si les centrales modernes utilisent relativement peu d’eau pour se refroidir, les vieilles installations sont dévastatrices pour la faune et la flore aquatiques. La question est donc de savoir si ces dernières doivent procéder à des travaux de rénovation.
Les compagnies disent que ce serait trop cher. De fait, sous le règne de Bush, l’Environmental Protection Agency (EPA, ministère de l’Environnement) les a autorisées à passer outre « quand elles peuvent prouver que le coût de remise à niveau serait plus élevé que les bénéfices attendus » . Quels bénéfices ? Rien de plus que des plans d’eau plein de poiscailles en bonne santé, qui profiteraient aux pêcheurs amateurs et professionnels, et aux touristes. Fi donc ! Combien vaut un kilo de poisson à l’aune d’un mégawatt indispensable à la vie économique d’une nation ?

Les environnementalistes ne sont pas des tanches en matière d’économie, ils savent tout cela. Mais ils refusent que la loi sur l’eau soit appliquée selon la règle basique de la comparaison coûts/bénéfices. À quoi les avocats des électriciens rétorquent : « Si vous ne pouvez pas fournir quelques analyses coûts/bénéfices sur ce sujet, la perspective de dépenser des millions de dollars pour sauver une poignée de poissons est tout simplement absurde. »
Aux superjuges de décider, donc. Ils sont neuf, inamovibles, dont sept ont été nommés par des présidents républicains. A priori, mais rien n’est sûr en matière d’environnement, les électriciens comptent sur leur appui. Car ils savent avec certitude que le futur patron (ou patronne, si l’on en croit les rumeurs) de l’EPA aura à cœur de changer l’échelle des valeurs. Mais si la Cour suprême décide d’appliquer cette règle des coûts-bénéfices au champ de l’environnement (ce sur quoi elle n’a jamais été consultée), la nouvelle EPA n’y pourra rien changer. Toutes les futures législations seront affectées, et Obama pourra se brosser pour mettre en place des politiques que les industriels dénonceront comme « trop chères en regard des bénéfices escomptés » . Il va sans doute falloir en rabattre quant aux espoirs démesurés placés dans le nouveau Président.

Écologie
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