Les émotions d’une sophisticated Lady

Dans « Easy Come Easy Go », Marianne Faithfull chante Billie Holliday, Traffic, et même Black Rebel Motorcycle Club, avec élégance et passion. Un disque en apesanteur.

Jacques Vincent  • 15 janvier 2009 abonné·es

Marianne Faithfull déclarait récemment, à propos de son nouvel album, dans lequel elle revisite dix-huit compositions signées Randy Newman, Morrissey, Stevie Winwood, Merle Hagard ou encore Duke Ellington, qu’il ne s’agissait pas d’un disque de reprises mais d’un album d’interprète et qu’elle avait abordé ces chansons comme elle l’aurait fait d’un scénario ou d’une pièce de théâtre. Elle rappelait par là deux choses importantes. D’une part, que son monde ne se limite pas à la musique mais englobe aussi le cinéma et le théâtre, et on peut penser que chaque domaine s’enrichit de l’expérience des ­autres. D’autre part, que cet art difficile qui consiste à relire une composition écrite par quelqu’un ­d’autre pour en donner une interprétation marquée par une singularité et une vision est un art de l’appropriation – le reste n’étant que de l’imitation, ce qui est malheureusement le plus courant.

Le « All Along the Watchtower » de Dylan, repris par Hendrix, n’est plus du Dylan ; pas plus que le « Paint It Black » n’est encore du Stones après le passage d’Eric Burdon. Ni que le « Ooh Baby Baby » ici présent est encore du Smokey Robinson. C’est la réalisation la plus remarquable du disque, qui donne l’impression que l’original a été entièrement démonté pour être remonté autrement. Cela avec la complicité active du chanteur Antony, un choix qui s’avère particulièrement heureux : ce dernier déjà parfait dans une première partie en apesanteur, soudain touché par la grâce, explose le morceau en son milieu comme s’il postulait pour la place de Bryan Ferry dans une reformation de Roxy Music. Mais l’exemple est presque trop spectaculaire et extrême. L’approche de la reprise du « Down From Dover » de Dolly Parton est la plus révélatrice de tout ce disque. Aucun bouleversement de structure mais un jeu sur les couleurs, avec la mise en avant des cuivres et de l’orgue, et une façon d’engager sa propre gravité à travers cette voix au bord de la rupture à la fin de chaque refrain.

Marianne Faithfull, qui dit avoir eu les Beatles et les Stones comme professeurs, a toujours été bien entourée, et c’est encore le cas ici avec Cat Power, Nick Cave, Rufus Wainwright, Sean Lennon, Jarvis Cocker ou Keith Richards. Tous se cantonnent néanmoins dans une remarquable discrétion et, en fin de compte, leur rôle est surtout symbolique et moins important pour le résultat final que celui des arrangeurs, Steve Weisberg, Steven Bernstein et Gil Goldstein – ce disque est aussi le leur – ou même des très nombreux musiciens qui, avec une grande délicatesse, confectionnent des écrins de velours pour la voix meurtrie de Faithfull. Au final, ce disque est aussi parfait dans le choix des morceaux (qui d’autre oserait reprendre Traffic ou Jackson C. Franck ?) que dans leur interprétation sous le signe d’une sophistication d’autant plus réussie qu’elle a les moyens de son ambition et qu’elle ne se substitue jamais à l’émotion.

Culture
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