Monoprix encaisse mal les réquisitions

Au cœur des fêtes de fin d’année, des militants associatifs ont donné à des précaires de la nourriture soustraite aux magasins Monoprix. L’enseigne porte plainte. Une première.

Xavier Frison  et  Pauline Baron  • 29 janvier 2009 abonné·es
Monoprix encaisse mal les réquisitions

La générosité n’est plus ce qu’elle était. Surtout lorsqu’elle touche aux biens d’une grande enseigne de distribution réquisitionnés en faveur des plus précaires, à l’approche des fêtes de fin d’année. Les 27 et 31 décembre 2008, Agir contre le chômage (AC !) Grenoble et le collectif des Empêcheurs d’encaisser en rond de Paris investissent les rayons de magasins Monoprix de leurs villes respectives pour réquisitionner – sans payer – des produits redistribués à des personnes en grande précarité. Début janvier, la direction nationale de l’enseigne décide de porter plainte pour vol contre AC ! Grenoble et la Coordination des intermittents et précaires d’Île-de-France (CIP-IDF), tenus pour responsables de ces actions. La direction de l’enseigne s’est également constituée partie civile. Jamais une « réquisition de richesses » ne s’était soldée par des poursuites judiciaires à l’encontre des associations. La justice devra donc trancher entre vol et acte militant.

Illustration - Monoprix encaisse mal les réquisitions

Un préjudice de 938 euros pour 3,5 milliards de chiffre d’affaires. Demarthon/AFP

Après la distribution de nourriture, AC ! Grenoble s’adonne à celle de tracts devant le lieu de ses exploits afin d’obtenir le retrait de cette plainte. « Nous sommes entrés dans le magasin par petits groupes pour éviter d’être repérés et nous avons rempli une quinzaine de paniers de nourriture » , résume Chrystelle, qui a participé à l’action grenobloise du 27 décembre. À leur arrivée en caisse, les membres de l’association refusent de payer leurs emplettes et exigent de négocier avec la direction de Monoprix. Après avoir bloqué l’ensemble des caisses durant près d’une demi-heure, le directeur de l’établissement les laisse repartir sans payer et sans faire intervenir la police, pourtant présente sur les lieux. Le directeur se serait également engagé à ne pas porter plainte contre AC !. « Le fait que les clients se soient montrés très réceptifs à notre action a été un élément déterminant lors des négociations », précise Chrystelle. Coût de l’opération pour le magasin grenoblois : 938 euros, une somme infime au regard du chiffre d’affaires national annuel du groupe, qui s’élève à plus de 3,5 milliards d’euros. Les militants ont ainsi réalisé un « joli pied de nez » à un « système capitaliste gangrené par la surconsommation » , en emportant champagne, foie gras et d’autres produits « pas de premier prix » . Toute cette nourriture ne leur était pas destinée : elle a servi à égayer le quotidien de chômeurs et précaires à Grenoble, et des sans-papiers de la rue de la Banque à Paris.
Grenoble, Paris, Rennes… Le concept d’« autoréduction » connaît un succès certain en temps de crise. Cette forme de lutte « est aussi vieille que le mouvement ouvrier », rappelle le collectif de Résistance au travail obligatoire (RTO), qui évoque les « déménagements à la cloche de bois », sans payer son loyer, pratiqués à la fin du XIXe siècle. L’autoréduction a aussi connu son heure de gloire au plus fort des luttes sociales en Italie, dans les années 1960-1970. À Rome ou à Milan, « des dizaines de milliers de personnes recalculaient leurs factures de gaz et d’électricité en s’appliquant le tarif réservé aux grosses entreprises. […] Les salariés italiens se sont mobilisés également sur le coût des transports, en partant du principe que s’ils prenaient le train tous les jours, c’était pour bosser, pour le bénéfice de leur patron et que donc ce coût-là ne devait plus leur incomber » . Pratique « offensive » , l’autoréduction peut aussi servir à obtenir des réductions ou la gratuité sur la culture ou les loisirs. À chaque fois, il s’agit de se réapproprier « une bonne partie de ce que le capitalisme nous vole ou nous refuse ». En France, après Carrefour en septembre 2008, Monoprix en décembre et des traiteurs de luxe les années précédentes, aucune enseigne n’est plus à l’abri de ces ponctions « à la source ». Des actions qui font d’une pierre deux coups en soutenant les victimes du système économique tout en punissant les sociétés qui engrangent les profits au bénéfice des dirigeants et des actionnaires. Au-delà de la distribution symbolique de nourriture aux plus démunis, ces réquisitions sont aussi le signe du refus de la précarisation croissante de la société française. Ces militants remettent ainsi en cause la politique gouvernementale, qui laisse de côté les plus fragiles. « En prenant tous ces produits sans les payer, nous dénonçons le partage inégal des richesses autrement que par de simples manifestations » , explique Chrystelle.
Tout le monde ne partage pas ce point de vue. Pour la direction de Monoprix, cette entraide se résume en un seul mot : « Ils se sont servis dans les rayons et sont partis sans payer, c’est donc du vol. » Démentant tout accord entre les militants et les directions des deux magasins, Monoprix estime qu’il y a « seulement eu des discussions. Comment le directeur seul aurait-il pu négocier face à une cinquantaine de personnes ? », s’interroge le service de presse de l’enseigne, joint par Politis. « Et si le directeur n’a pas fait intervenir la police, c’était pour éviter tout débordement. » La CIP-IDF, à Paris, se voit accusée de vol avec violence et insultes. Selon Monoprix, quelques clients auraient été bousculés lors du blocage des caisses du supermarché. La coordination dément : « Certains clients étaient un peu tendus, mais sinon tout s’est passé tranquillement. » L’ensemble des actions menées à l’occasion des fêtes de fin d’année présentaient la même consigne : récupérer le maximum de produits sans payer, mais tout arrêter en cas d’altercation.
AC ! Grenoble et la CIP-IDF attendent de connaître les suites et la qualification que le parquet donnera à ces plaintes. Celles-ci ne seraient pas valides, selon l’association iséroise, qui a tout de même préféré prendre conseil auprès d’un avocat. « La direction du magasin n’a pas fait intervenir la police présente sur place et nous a laissé repartir sans payer » , insiste AC ! Grenoble, qui réfute l’accusation de vol. Le motif d’extorsion ne serait pas non plus valable, aucune contrainte physique ou morale n’ayant eu lieu lors de ces réquisitions, d’après les militants d’AC ! Pour eux, tout procès serait « ridicule » : les 938 euros de denrées subtilisées apparaissent bien dérisoires face aux 600 euros dépensés par chaque foyer français en moyenne à l’occasion des fêtes de fin d’année.

AC ! Grenoble : <www.ac.eu.org/spip.php?rubrique76>
CIP-IDF : <www.cip-idf.org>
RTO : <www.collectif-rto.org>

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