Tiraillés par l’Histoire

Une pièce cinglante d’Aziz Chouaki sur la participation des colonisés d’Algérie, du Maroc et de Tunisie à la Première Guerre mondiale.

Gilles Costaz  • 15 janvier 2009 abonné·es

Commémorez l’héroïque combat des tirailleurs algériens partis défendre la France dans les batailles de 1917 à Verdun ! Telle était la proposition faite à l’écrivain Aziz Chouaki par le conseil général de la Meuse. Chouaki a saisi l’occasion pour ne pas écrire la page glorieuse attendue mais pour composer un texte différent, personnel, soucieux de vérité historique, respectueux de ces malheureux colonisés envoyés à la boucherie ou à l’effrayant quotidien de la guerre. Ce texte, les Coloniaux , finalement accepté, a été lu par Fellag en 2007 et trouve à présent sa dimension théâtrale aux Amandiers de Nanterre.
C’est le monologue d’un berger qui fait l’objet de tentatives de manipulations d’un… figuier. Oui, c’est un arbre magique qui l’invective, le contredit, le dirige, pendant qu’il conte son existence de pauvre pasteur attaché à sa pauvre vie. Non, il ne veut pas se laisser enrôler dans l’armée française et quitter son coin de Kabylie pour les folies guerrières de la Marne. Le figuier a, alors, une idée diabolique : il lui assure que les Pieds-Nickelés, ces vrais héros, qui se moquent de l’autorité comme d’une guigne, sont sur le front. Le berger peut les re­trouver là-bas. Il accepte. Et le voilà dans les luttes jamais gagnées, jamais perdues, toujours tueuses, autour du fort de Domont. Le tirailleur sauvera sa vie mais que sera-t-il, à son retour ? Le même colonisé qu’avant.

Illustration - Tiraillés par l’Histoire

Hammou Graïa, remarquable dans « les Coloniaux ». DR

Aziz Chouaki a beaucoup étudié les faits réels. Il rappelle que près de 170 000 soldats algériens, mêlés à 120 000 tirailleurs du Maroc et de la Tunisie, ont combattu dans l’armée française entre 1914 et 1918. Et que 36 000 d’entre eux y ont péri. Sur une authentique tragédie, l’auteur a composé une fable, une sotie, une farce, une arlequinade, une parlerie populaire. Quelque chose entre Dario Fo et Shéhérazade, une facétie où, tout à trac, surgit le sang de l’histoire et où s’infiltre le point de vue du poète sur le temps passé, le moment présent et les siècles à venir. Même le vocabulaire (« sniper », « ouf » pour « fou »…) est entre plusieurs époques. Au terme de ce soliloque tournoyant, Chouaki ne réclame rien. Juste le sens de la mémoire pour la France drapée dans ses légendes mensongères et l’Algérie abîmée dans ses déchirements.
Après l es Oranges et la Virée , Chouaki donne une nouvelle œuvre à la langue éclatante. Le spectacle aurait gagné à être joué dans une salle moins vaste, avec une proximité qui rende encore plus proche de nous la remarquable interprétation d’Hammou Graïa. La mise en scène de Martinelli, qui s’appuie aussi sur la présence de Chouaki en musicien (étonnant) et en « figuier » (un rôle encore mal défini, à penser davantage), peine à tirer du texte sa combustion immédiate. L’ensemble trouvera, ou doit trouver, plus de liberté au fil du temps.

Culture
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