« Une atteinte à la démocratie »

Pour Éric Halphen, vice-président du tribunal de grande instance de Paris, la suppression programmée du juge d’instruction menace l’indépendance de la justice.

Sébastien Fontenelle  • 15 janvier 2009 abonné·es

Que vous inspire l’annonce de la suppression des juges d’instruction, et de leur remplacement par des juges de l’instruction ?

Éric Halphen : C’est une atteinte à la démocratie, et un basculement vers une justice « à l’anglo-saxonne ». Dans le système judiciaire français, il y a d’un côté le parquet, de l’autre la défense, et, entre les deux, un homme libre : le juge d’instruction. C’est la procédure inquisitoire. Le système accusatoire anglo-saxon, où ce juge n’existe pas, se réduit à une confrontation entre le parquet et la défense. Les deux options sont défendables, mais le système français est beaucoup plus démocratique : quand le mis en cause, par exemple, n’a pas les moyens financiers d’assurer correctement sa défense, le juge d’instruction mène, à charge et à décharge, les vérifications qui s’imposent. Et le contradictoire est mieux assuré. Or, mécaniquement, la disparition du juge d’instruction entraîne le passage au système accusatoire, où le juge « de l’instruction » ne sera plus là que pour autoriser – ou pas – les moments coercitifs de l’enquête (perquisitions, gardes à vue, mandats ­d’amener ou d’arrêt), un peu comme on le voit faire dans les séries américaines. Un tel système n’est cependant pas scandaleux – à la condition expresse que le parquet soit totalement indépendant. Or, le chef de l’État n’a rien dit là-dessus, et pour cause : il n’est pas du tout partisan d’une telle indépendance.

Vous avez instruit, en son temps, l’affaire dite « des HLM de la Ville de Paris ». Qu’en sera-t-il de tels dossiers quand le juge d’instruction aura disparu ?

Il n’y aura tout simplement pas d’enquête ! Imaginons que les services fiscaux dénoncent à la justice un système de fausse facturation au sein d’une société lambda, au profit d’un parti politique : le parquet, maître de l’opportunité des poursuites, pourra enquêter – ou pas –, mais s’il découvre que le dossier met en cause le pouvoir, il y a fort à parier qu’il cessera toute investigation. La disparition programmée du juge d’instruction est clairement une reprise en main politique, pour éviter le débordement des affaires.


Ses partisans la présentent pourtant comme une garantie supplémentaire – pour éviter notamment, disent-ils, de nouveaux Outreau.

Dans l’affaire d’Outreau, le juge d’instruction n’était pas seul en cause : le parquet a toujours requis le maintien des prévenus en détention, et leur renvoi devant la cour d’assises ! On dit aussi que l’annonce présidentielle est un effet de l’affaire Filippis, du nom de ce journaliste de Libération placé en garde à vue : le pouvoir semble considérer qu’il n’est pas normal qu’un « petit juge » puisse infliger un traitement dégradant à des cols blancs. Mais, dans l’affaire Filippis, c’est aussi le comportement des fonctionnaires de police qui est contestable : or, là-dessus, Sarkozy n’a rien dit. Nous aurons donc une police totalement dépendante d’un parquet lui-même dépendant.
Entendons-nous bien : il n’est pas question de nier certains dysfonctionnements. Il est exact qu’il y a trop de détentions provisoires, et que des magistrats instructeurs négligent de répondre à certaines demandes des avocats. On pouvait remédier facilement à ces manquements – par exemple, en nommant plusieurs juges pour instruire chaque dossier. Le président de la République préfère supprimer purement et simplement les juges d’instruction, et c’est une atteinte gravissime à l’indépendance de la justice, où ne subsistera plus aucun contre-pouvoir, puisque les parquetiers récalcitrants, s’il en reste, pourront être mutés s’ils montrent des velléités d’insoumission. Il me semble que ça devrait susciter dans l’opinion de très vives réactions : il y va, ni plus ni moins, de la démocratie.

Société
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