Il y a de l’argent dans vos poubelles

Recyclage Face à une politique qui ne croit que dans la consommation à outrance, le magasin L’Interloque transforme les déchets pour en faire une source de richesse économique et sociale.

Philippe Chibani-Jacquot  • 5 février 2009 abonné·es

« Soldes exceptionnels + 10 à + 30 % ». Sur la vitrine de L’Interloque, l’affiche a de quoi interpeller le chaland du XVIIIe arrondissement de Paris. D’autant que cette boutique, qui vend vaisselle, vêtements et meubles, est plutôt réputée pour ses prix bas. Cette opération est un pied de nez aux soldes, qui incitent le consommateur à vider les stocks pour faire de la place aux prochains sur un air de : « Il faut sauver l’économie. » À L’Interloque, on pousse à reconsidérer sa consommation sur fond d’économie verte et solidaire.

Illustration - Il y a de l’argent dans vos poubelles

Ressourcer : collecter, transformer, réparer, vendre.
Tanneau/AFP

Passez la porte de la boutique, vous entrez dans une ressourcerie. L’association collecte, transforme, répare et vend la plus importante « ressource disponible localement » , explique le directeur, Giancarlo Pinna : le déchet. Une part est vendue aux usines de recyclage, l’autre sert à créer de nouveaux objets, comme ces miroirs très ­design, faits de morceaux de palette et de pneus de vélo.
Après cinq ans d’existence, L’Interloque a colonisé 500 m2 de locaux rue Trétaigne, entre la butte Montmartre et la porte de Clignancourt. Deux boutiques (une pour les produits remis en état, une pour le ­design), un espace de sensibilisation à l’environnement, un lieu de stockage et un atelier de réparation et de création. Pas un mètre carré de trop pour gérer les 120 tonnes de déchets en tout genre collectés principalement dans l’arrondissement en 2008 et revalorisés à 80 %.

Du haut de cette montagne des rebuts de notre société de consommation, l’association tente de faire entendre son message en faveur de la réduction des déchets à la population du quartier. « Aujourd’hui, on achète pour appartenir à la société. Il faut le nouveau por­table, les nouveaux vêtements… Ici, nous appliquons une sorte d’écodéveloppement fondé sur le savoir-faire et le savoir-être, inspiré des anciens, qui savaient garder et réutiliser les choses, résume Giancarlo Pinna. Nos boutiques sont une sortie de secours à cette pathologie de la consommation. »

Céline, l’une des huit salariés, s’affaire dans l’atelier sur un meuble constitué de cartons d’emballage. Après avoir travaillé dans le spectacle et connu le chômage, elle a trouvé ici une nouvelle vocation : « avocate des objets ». « Je participe à la continuation de leur vie en les réparant ou bien je leur permets d’exister autrement » , résume-t-elle. Sur sa fiche de paye, elle est technicienne du réemploi. Une appellation que les ressourceries souhaiteraient faire reconnaître comme un nouveau métier à part entière.
En cette période de soldes, Giancarlo aime à rappeler l’un des slogans fondateurs de L’Interloque : « Ici, on ne vend pas on achète » , pour souligner que le commerce des objets n’est pas la finalité. « Nous donnons à voir l’écologie comme une activité créatrice de richesse, d’emplois locaux et de lien social » , insiste-t-il. Sur les 8 salariés, 6 sont en CDI (2 de plus qu’en 2008), beaucoup ont connu les minima sociaux, ou moins.

L’activité commerciale (vente en boutique et aux entreprises de recyclage) apporte un autofinancement de 40 %. « On commence à demander moins de subventions pour passer à de la prestation de service. » Boutiques et service de collecte gratuite sont autant de signes envoyés par l’équipe de L’Interloque aux habitants, commerçants et entreprises de l’arrondissement pour dire que la gestion des déchets peut être source d’économie.
Et les idées fourmillent : « On pourrait travailler à la formation des gardiens d’immeuble au développement durable et revaloriser ainsi leur fonction. Les professions libérales, les policiers – pourquoi pas ? – ont besoin d’être sensibilisés » , lance Giancarlo. En 2009, les bistrots du quartier seront l’objet de toutes les attentions, car ils sont des vecteurs de communication importants et de gros producteurs de déchets avec leurs myriades de bouteilles individuelles.

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