La vie à la cravache

Daniel Grandclément filme
au Sénégal, dans les écoles coraniques,
l’enfer des enfants
les plus pauvres.

Jean-Claude Renard  • 19 février 2009 abonné·es

Cinq heures du matin. Dans une « daara », une école coranique, âgés de 4 à 15 ans, les « talibés » font leur toilette. Une petite ablution au fond d’un seau. Pas d’électricité ni d’eau courante sur place. En cercle, les élèves entament la journée par une prière et la lecture de versets du Coran, à mémoriser. À 6 heures, ils partent mendier. C’est bon pour l’humilité, qu’on leur dit.
Un marabout disperse les enfants qui décanillent munis d’une gamelle pour la piécette ou pour glaner quelque nourriture dans le centre de M’Bour, cité portuaire à quatre-vingts kilomètres de Dakar. Ils se répartissent dans la ville. Seuls et abandonnés. Dépenaillés, au turbin, en charge de basses besognes, pour décharger les embarcations, nettoyer les coques, mendier toujours au coin des rues. Avec le devoir de rapporter au moins 250 francs CFA. Faute de quoi, c’est la sanction : les coups de cravache. Tel est leur quotidien. Huit heures de mendicité, neuf heures de Coran. Abrutis de fatigue. Ils n’apprennent rien d’autre que des versets dont le sens leur échappe.

Grand reporter, Daniel Grandclément s’est déjà fait remarquer par ses images sur la traversée du Golfe d’Aden par les candidats à l’exil, Somaliens et Éthiopiens naviguant dans des conditions épouvantables. Il a aussi signé un excellent reportage sur les enfants esclaves au Ghana, vendus aux pêcheurs.
Cette fois-ci, Daniel Grandclément dénonce les conditions de vie de ces mouflets dont le nombre augmente chaque année. 50 000 à 100 000 selon l’Unicef, trois fois plus selon d’autres sources.

Beaucoup proviennent d’États voisins, arrivent en groupes, sans plus jamais revoir leur famille, dans un Sénégal en proie à la crise économique. Auparavant, chaque village abritait son école coranique. En contrepartie, le maître prodiguait un enseignement. La sécheresse, la misère et l’exode rural ont bouleversé ces pratiques. Les enfants, les plus pauvres, forcément, sont contraints à l’errance, subissent les coups, impitoyablement.

Rares sont ceux qui échappent à ces écoles brutales, parviennent à fuir avant d’être recueillis par le Samu social de Dakar, ou de se retrouver dans les bidonvilles. Un autre calvaire pour des enfants qui demeurent la première cible de la pauvreté.

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