Relancer la consommation ?

Liêm Hoang-Ngoc  • 5 février 2009 abonné·es

Relancer la consommation reviendrait à « verser de l’eau dans le sable » et profiterait uniquement aux produits étrangers. Tel est l’argument martelé par le « Président du pouvoir d’achat » pour refuser dans son plan « de relance » toute mesure en faveur du pouvoir d’achat.
Reprenant en chœur ce nouveau verset présidentiel, tous les adversaires de la redistribution oublient curieusement de préciser que le contenu en importation des investissements est bien plus fort, en raison de l’hégémonie de nos partenaires allemands en matière de biens d’équipement. Ils omettent de souligner que, sur mille milliards d’euros dépensés en biens de consommation, seuls 70 milliards se portent sur les produits importés. La consommation est d’ailleurs devenue le seul moteur de la croissance française, à l’heure où les entreprises, dont certaines réalisent encore des profits importants, n’investissent plus. Par voie de conséquence, le déficit du commerce extérieur se creuse, aucunement parce les salariés ont trop consommé, mais parce que nos entreprises perdent en compétitivité, faute d’avoir investi. Ce déficit s’élève à 51 milliards d’euros, à comparer avec les 21 milliards d’euros de 1983 (126 milliards de francs). Si elle avait été appliquée en 1981, à l’époque du franc, la politique de l’actuel gouvernement l’aurait donc conduit à une crise de change bien plus grave que celle qu’a dû affronter le gouvernement Mauroy… Malgré sa surévaluation, l’euro nous prémunit aujourd’hui d’une crise de change en cas de déficit extérieur. Au demeurant, il n’est pas dit que la relance creuse aujourd’hui les déficits dès lors que tous les pays européens ont choisi de relancer en même temps.

En accroissant la demande et donc à court terme le taux d’utilisation des équipements des entreprises, extrêmement faible aujourd’hui, la consommation est le plus sûr levier qui permette d’inciter, in fine , celles-ci à accroître leurs capacités de production en investissant, lorsque les taux normaux d’utilisation seront atteints. En d’autres temps, la consommation populaire a été le moteur de la croissance, l’investissement dans le secteur des biens de consommation courante offrant des débouchés au secteur des biens d’équipement. Désormais, dans le capitalisme financier, le revenu médian stagne alors que les hauts revenus explosent, tirés par les revenus du capital. Il en résulte deux grands scénarios. Le premier est caractérisé par un investissement atone et un excès d’épargne des classes riches, bénéficiaires des dividendes, mais dont la propension à consommer est faible. Il accouche, en France et en Allemagne, d’une croissance molle. Le second se joue aux États-Unis et chez ses clones européens (Angleterre, Irlande, Espagne), où seul le surendettement des ménages, alimenté par le crédit titrisé sur les marchés dérégulés, a permis la forte croissance de ces pays depuis le début de la décennie, à un prix qu’on sait aujourd’hui incommensurable…
Il devient socialement et économiquement urgent de modifier la répartition salaires-profit. À cet égard, la situation n’est plus celle des années 1970, où les entreprises augmentaient les prix pour faire face à la dégradation de leurs marges, consécutive à la hausse des salaires et du prix du pétrole. L’inflation salariale a disparu, les taux de marge des grandes entreprises ont été restaurés, et la déflation menace. Les marges des PME sont néanmoins plus faibles que celles de leurs donneuses d’ordre. C’est pourquoi la hausse des salaires doit s’accompagner d’une modulation de la fiscalité des sociétés, selon l’usage qu’elles font de leurs bénéfices (un taux majoré pour les bénéfices distribués aux actionnaires et un taux minoré pour les bénéfices investis). La baisse de la TVA possède également des vertus insoupçonnées. Répercutée sur les prix, elle permet de relancer le pouvoir d’achat. Partiellement répercutée, elle permet aussi aux PME qui en ont besoin de constituer des marges pour l’investissement. Enfin, le pouvoir d’achat des personnes bénéficiant de minima sociaux, de pensions de retraite et d’allocations chômage s’est dégradé, respectivement de
-0,5 %, – 0,7 % et – 0,6 % par an depuis 2002. Il faut les revaloriser substantiellement.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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