« Une grève plus que légitime »

Neuf intellectuels antillais publient un manifeste en soutien au mouvement dans les DOM. Ils réaffirment, au-delà des questions économiques, la revendication anticoloniale.

Olivier Doubre  • 26 février 2009 abonné·es

On connaissait l’écriture souvent emplie de poésie d’un Patrick Chamoiseau ou d’un Édouard Glissant. Accompagnés du plasticien Ernest Breleur, du sociologue Serge Domi, de l’écrivain Gérard Delver et de plusieurs universitaires de l’université Antilles-Guyane, ils l’ont mise au service de la lutte des habitants des départements d’outre-mer. Dans un manifeste publié par de nombreux journaux et sites Internet [[Le texte entier du manifeste est consultable sur de très nombreux sites, dont :
http://resister.over-blog.com.]], ces intellectuels antillais appellent en effet, face à ce *« système où règne le dogme du libéralisme économique »* , à prendre conscience de l’exigence du *« poétique »* (c’est-à-dire de *« l’épanouissement de soi »* ) qui se *« profile »* derrière les revendications économiques du mouvement en Guadeloupe et dans les autres DOM. C’est-à-dire donner à entendre le poétique au-delà du *« prosaïque du “pouvoir d’achat”* ou du *“panier de la ménagère” ».
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On aurait toutefois tort de lire simplement ce manifeste comme un énième appel conceptuel à dépasser le capitalisme. Certes, il souhaite donner voix au rêve, ou *« grand désir »* , de *« jeter les bases d’une société non économique ».* Mais il s’agit d’abord pour ces auteurs de saluer cette grève *« plus que légitime »* dont la *« force »* est d’avoir su réunir nombre de luttes sectorielles, *« inaudibles »* seules, ou isolées *« dans la cécité catégorielle »* (hôpitaux, établissements scolaires, entreprises, collectivités territoriales, etc.).

Cependant, l’importance de ce texte au beau style imagé, qui débute par une citation de Gilles Deleuze prévenant que « le peuple qui manque est un devenir » , réside sans aucun doute dans son appel, au-delà des revendications sociales immédiates, à une « exigence existentielle » pour ces peuples longtemps minorés et qui luttent fièrement aujourd’hui. Ceux-ci devraient maintenant se saisir, selon les auteurs, de cette occasion pour « entrer en dignité sur la grand-scène du monde » . Une revendication, pourtant, « qui ne se trouve pas aujourd’hui au centre des négociations en Martinique et en Guadeloupe, et bientôt sans doute en Guyane et à la Réunion ». Et ces intellectuels de souhaiter que ce mouvement finisse par « fleurir en vision politique, laquelle devrait ouvrir à une force politique de renouvellement et de projection, apte à nous faire accéder à la responsabilité de nous-mêmes par nous-mêmes ».

En somme, alors que le LKP, collectif qui regroupe de nombreuses organisations syndicales et associations aux sympathies tout au moins autonomistes, a choisi de ne pas porter de front la question politique par rapport à une « métropole » qu’il faut bien appeler, vu la structure économique de ces sociétés, la puissance coloniale, ces hommes de lettres ou de l’art décident ici de dire tout haut ce que beaucoup pensent mais ont stratégiquement (pour l’instant ?) choisi de taire : la revendication politique pour, enfin, se « débarrasser des archaïsmes coloniaux ». Le chemin sera sans doute encore long, mais l’exprimer clairement est déjà en soi une première conquête politique. Les DOM ont peut-être commencé à exprimer sous une forme nouvelle leur (ancien) « souffrant désir de faire peuple et nation ».

Publié dans le dossier
Dom-Tom : Le temps des colonies
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