L’exil infini

« Un si beau voyage » montre un homme sommé de concevoir sa disparition.

Christophe Kantcheff  • 19 mars 2009 abonné·es

De quoi est faite la vie de Mohamed ? De longues journées désœuvrées à regarder passer le temps. Mohamed, ouvrier à la retraite, seul, sans enfant, vit dans un foyer pour travailleurs immigrés de la région parisienne. Comment voit-il son avenir ? Il a deux copains, Karim et Mansour, plus jeunes que lui, dont l’un vient de se voir octroyer un appartement en HLM. Cela distrait Mohamed d’aider Karim à refaire les peintures.

Mais la décision du directeur du foyer de le renvoyer, puisqu’il n’est plus un travailleur en activité, va mettre au jour sa fragilité. S’il commence à la manière d’une chronique sur un immigré vieillissant, Un si beau voyage , de Khaled Ghorbal, prend peu à peu un sens différent, plus dramatique, plus existentiel. Comme si le destin se refermait inexorablement sur lui
– d’où le rythme assez lent du film, faisant songer étrangement à un certain cinéma russe –, Mohamed va être dominé par le sentiment de ne plus avoir de place nulle part, même revenu dans son pays, en Tunisie.

Farid Chopel est Mohamed. Le verbe « être », ici, est sans doute plus juste que le verbe « jouer ». Pendant le tournage d’ Un si beau voyage, Farid Chopel était déjà atteint par la maladie qui l’a emporté en avril 2008. Devant la caméra, le comédien-chanteur s’est saisi du personnage créé par le cinéaste au point de le réinventer et de lui donner une dimension quasi documentaire sur un homme sommé de concevoir sa disparition. Les circonstances tragiques de cette fusion entre le comédien et son personnage ajoutent, bien sûr, à la force de ce film.

Culture
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