Quelles protections pour les sociétés ?

Geneviève Azam  • 5 mars 2009 abonné·es

« La société du risque », produit dérivé de la finance globale, s’écroule sous les milliards de crédits « pourris » dont on ne sait que faire. Les États eux-mêmes ne sont plus en mesure de socialiser toutes les pertes. La crise sociale sera d’autant plus violente que les protections construites précédemment auront été sacrifiées avec la promotion du risque comme valeur morale, avec la déconstruction des protections collectives, avec le libre-échange et la concurrence généralisés. La société du risque a rejeté les mesures de précaution élémentaires pour protéger l’environnement, les biens communs et les ressources non renouvelables.

Un instant sonnés par l’écroulement et la monstruosité de leur ouvrage, les néolibéraux sont loin d’avoir désarmé, et les voilà attelés désormais à traquer « le protectionnisme ». C’est une autre manière de dire que, face au libre-échange généralisé et à la globalisation économique qui dévaste les sociétés et leur environnement, il n’y a pas d’alternative. Ou que toute protection serait finalement porteuse d’un protectionnisme régressif fondé sur la concurrence entre les États et sur la guerre potentielle. C’est aussi une manière d’oublier que la  société du risque, version moderne de l’état de guerre de tous contre tous, est faite d’individus privatisés et précarisés, soumis à des politiques sécuritaires et à des formes répressives de maîtrise de la peur et de l’incertitude. Une manière d’oublier que l’utopie de l’homme global, privé de racines, nourrit les crispations identitaires et conduit à des replis dévastateurs. Une manière d’occulter que, dans la société du libre-échange, la protection des structures du capitalisme dominant est assurée par la mise en concurrence qui engendre le pillage du travail, des savoirs, des ressources naturelles, des cultures et des civilisations, à un degré tel que c’est la possibilité même des sociétés qui se trouve menacée.

Le libre-échange n’est pas le produit d’une main invisible et pacifique, il a été mis en place par les États qui ont choisi de se dessaisir de leurs prérogatives au profit des firmes transnationales, et qui ont tenté de l’imposer au monde entier, y compris par la force et la contrainte. La globalisation n’est pas un projet d’élargissement des solidarités ou de construction de solutions qui ne pourraient pas voir le jour dans un cadre plus étroit ; elle est l’abandon de la puissance régulatrice des États, l’éradication de toutes les formes locales d’économie et de société, au profit d’une conception unidimensionnelle du monde. Ce qui est à refuser dans le libre-échange, ce n’est pas l’échange, c’est le principe d’unification du monde par le marché et la concurrence, le principe de la Grande Société, chère à Friedrich Hayek. Comme sont à refuser le mercantilisme et le protectionnisme d’États qui seraient avant tout soucieux d’exporter la crise chez les voisins.

Le choix de ce qui doit être soustrait à la concurrence, de ce qui doit donc être protégé, au niveau international et au niveau des États, le choix de ce qui relève de la souveraineté populaire et non de la souveraineté des marchés et du capital, constitue un choix politique central qui engage les modèles des sociétés à venir et les modalités de leur coopération. Revendiquer la souveraineté alimentaire et énergétique, expérimenter d’autres voies pour un postcapitalisme exige de se protéger par rapport aux forces destructrices des corporations transnationales et d’instaurer une réglementation des échanges et des productions. La remise en cause du productivisme, de l’échange à n’importe quel prix et au prix de la dévalorisation massive du travail, ainsi que la protection des écosystèmes et de la diversité des sociétés et des biens communs ne pourront se réaliser qu’en posant des limites à la libre circulation des marchandises et des capitaux. Face au G20, conglomérat d’égoïsmes nationaux unis en façade contre le péril « protectionniste », c’est aux Nations unies d’instaurer des règles de protection coopératives et différenciées qui permettent une relocalisation du monde et l’autonomie politique des sociétés.

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