Réduire le temps de travail ? Chiche !

Des économistes expliquent comment l’emploi pourrait être mieux partagé : en supprimant les heures supplémentaires ou en diminuant les dividendes des actionnaires, par exemple.

Pauline Graulle  • 26 mars 2009 abonné·es

Cent mille emplois intérimaires ont disparu en un an. Les CDD de moins d’un mois ont fondu comme neige au soleil. En 2009, le chômage pourrait faire sombrer dans la précarité 3 millions de chômeurs « comptabilisés », en réalité, 7 à 8 millions de personnes. En parallèle, le nombre d’heures supplémentaires effectuées par les salariés a explosé, puis s’est stabilisé : selon l’Agence centrale des organismes de Sécurité sociale, 39,3 % des entreprises ont déclaré des heures sup au quatrième trimestre 2008. « Le marché du travail est entré dans une dualité néfaste entre, d’une part, des travailleurs qui travaillent plus grâce aux heures supplémentaires et, d’autre part, ceux – intérimaires, emplois précaires, CDD – qui n’ont plus de travail », explique Éric Heyer, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Alors que les écarts se sont ­creusés entre travailleurs et non-travailleurs, voilà remise sur le tapis l’idée de réduire le temps de travail pour mieux le partager. Mais cette hypothèse est-elle pour autant réellement applicable ?

Première étape, il faut arrêter d’urgence l’incitation aux heures supplémentaires que le président du « travailler plus pour gagner plus », via les exonérations fiscales et sociales de la loi Tepa, a « rendues moins chères que les embauches » , a souligné François Chérèque, leader de la CFDT. « La destruction d’emplois n’est pas directement liée aux heures supplémentaires, mais au ralentissement de l’activité, souligne Éric Heyer. Reste que l’incitation aux heures sup, que l’État subventionne, est un élément qui ajoute de la crise à la crise. Les supprimer ne ferait pas repartir l’emploi mécaniquement, mais permettrait de limiter les dégâts. » Une pétition lancée par le mensuel Alternatives économiques et l’hebdomadaire Marianne , pour « arrêter les frais », précise ainsi que l’augmentation des heures sup équivaudrait à « 90 000 emplois à temps plein ».

Mais au-delà de ce nécessaire ajustement conjoncturel, peut-on envisager sur le long terme une réduction générale de la durée légale du travail ? Pour Michel Husson, statisticien et économiste à l’Institut de recherche économique et sociale, l’idée est à la fois souhaitable et réalisable. Comment ? Par une réorganisation des circuits de financement du travail. « Dans la logique ultralibérale, c’est l’État, et non plus l’entreprise, qui porte la charge financière de la masse salariale, note l’économiste. C’est lui qui finance le travail précaire avec le RSA, c’est lui encore qui finance le chômage partiel… » Bref, le coût du travail baisse pour l’entreprise, qui utilise ses marges à destination des actionnaires.

Dans le même temps, l’État finance la paix sociale en déboursant des fonds pour encourager les heures supplémentaires, qui ont valeur d’augmentations de salaire déguisées ou permettent de combler le manque à gagner pour les travailleurs précaires. « On pourrait imaginer un système où ce sont les dividendes des actionnaires, qui n’ont pas arrêté de croître ces dernières années, qui financeraient le travail, et non plus les contribuables. Et cela n’est certainement pas une absurdité économique », affirme Michel Husson. Une question qui, parce qu’elle a trait à la répartition des richesses, est plus politique qu’économique.

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